« Je n’ai pas cherché à faire un truc à la mode », affirme, Fishbach sur son nouvel album « Avec les yeux »

INTERVIEW « Je vais d’un style à l’autre, je me cherche et me chercherai toute ma vie », confie à « 20 Minutes » l’artiste qui revient ce vendredi avec un deuxième opus fascinant, cinq ans après le succès de son premier album

Propos recueillis par Fabien Randanne
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L'autrice, compositrice et interprète Flora Fishbach, alias Fishbach, sort son deuxième album.
L'autrice, compositrice et interprète Flora Fishbach, alias Fishbach, sort son deuxième album. — Jules Faure
  • Avec les yeux, le deuxième album de Fishbach, est sorti le vendredi 25 février 2022.
  • « Au départ, j’ai conçu l’album de manière très amateur, comme les gens qui font de la musique dans leur chambre simplement parce que ça leur fait du bien », explique à 20 Minutes l’artiste de 30 ans.
  • « Je chante en français mais je me reconnais davantage dans une scène internationale avec des Kirin J. Callinan, Better Person, Sean Nicholas Savage… J’ai l’impression de faire partie d’une scène global groove assez cool », ajoute-t-elle.

Avec les yeux, le deuxième album de Fishbach qui sort ce vendredi, porte bien son titre. L’opus est une affaire de vision(s). Les images poétiques se lovent dans les textes. La voix de l’artiste ondule des graves aux aigus, confirmant son pouvoir hypnotique. Les guitares et synthés téléportent l’esprit dans des époques révolues ou des sphères oniriques. Un voyage aux frontières de l’irréel entériné par l’esthétique des clips des trois premiers extraits, Téléportation, Masque d’or et Dans un fou rire

Cinq ans après son premier disque, A ta merci, Fishbach, tout juste trentenaire, apporte la preuve que son succès n’avait rien d’un mirage. Avec les yeux se révèle plein d’audace et d’étrangeté. Et s’il nous charme autant, c’est sans doute parce que l’autrice, compositrice et interprète n’a pas voulu séduire à tout prix. « Je n’ai pas cherché à faire un truc à la mode, qui plaît, confie-t-elle à 20 Minutes. Je compose de manière intuitive, un peu égoïste même : je fais de la musique pour moi. C’est au moment de la production, quand on entre en studio, que je me dis que ces chansons vont être écoutées. »

L’album s’ouvre par « Dans un fou rire » qui évoque votre volonté de vous tenir à l’écart des réseaux sociaux, du refus de devoir avoir un avis sur tout. L’envisagiez-vous comme un préambule prévenant : « Avec ce disque, je vais vous emmener dans un monde à part, fantasmagorique » ?

Vous avez tout pigé, c’est exactement ça. Dans un fou rire est le dernier morceau que j’ai composé – durant le confinement. C’est aussi le plus concret. Les autres sont assez fantasmagoriques, ésotériques, surréalistes… Cette chanson était une nécessité, une thérapie et une manière de dire : « Ok, j’ai posé les bases. Ne cherchez pas chez moi de message politique fort ou de parti pris parce que je change d’avis tout le temps. Je change de voie tout le temps. Je vais d’un style à l’autre, je me cherche et me chercherai toute ma vie. Venez avec moi explorer ça. »

Vous ressentez, en tant qu’artiste, une injonction à vous exprimer sur tel ou tel sujet ?

Oui. Je vois aussi que les artistes qui marchent le plus sont tous des artistes politisés. Qu’un artiste utilise sa notoriété pour faire passer un message, je trouve ça très bien. Qu’un artiste utilise un message pour se faire une notoriété, ça me met mal à l’aise. Je ne trouve pas ça très juste. J’essaie de me construire sur la beauté, sur la folie du monde. Après, chacun fait bien ce qu’il veut.

Vous êtes rentrée dans vos Ardennes natales pour concevoir cet album. Ce retour aux sources vous a inspirée ?

J’adorais Paris, mais c’est une ville trop bruyante. Cela commençait à me fatiguer. J’avais besoin de silence et de voir l’horizon. Mais je reviens pour rencontrer les journalistes, voir mes amis, aller à des concerts, au resto et profiter de cette vie parisienne qui, je dois l’admettre, est quand même géniale. Le luxe, c’est d’avoir les deux.

Votre chanson « Quitter la ville » parle de cela…

Exactement, j’ai composé cette chanson dans mon dernier appartement parisien où j’avais un voisin qui bougeait les meubles la nuit. Cela me rendait dingue. Et je n’osais pas chanter. J’avais juste une guitare. C’est pour ça que le morceau est très folk, feutré, avec des voix toutes douces.

C’est une chanson qui contraste d’ailleurs avec les autres. Vous avez travaillé, sur cet album, avec Michael Declerck, qui l’a réalisé. Que recherchiez-vous en termes d’identité musicale ?

On est restés très proches de mes maquettes. On a restructuré des morceaux, réenregistré des guitares parce que j’en joue très mal… L’idée était de réenregistrer tout proprement et de pousser un peu les curseurs. Michael a fait un travail de fou sur toutes les batteries parce que moi, je les écris, je les dessine, mais au niveau du son, je suis toute nulle.

Vos textes peuvent être cryptiques, pleins de symboles. Vous comptez sur une compréhension instinctive de votre auditoire ?

Au départ, j’ai conçu l’album de manière très amateur, comme les gens qui font de la musique dans leur chambre simplement parce que ça leur fait du bien. Je déteste faire des explications de texte, je trouve ça absolument ennuyant. En revanche, j’aime beaucoup que les gens me racontent ce que les morceaux leur évoquent, c’est plus intéressant. J’aime bien laisser travailler l’imaginaire.

Les trois premiers clips se distinguent par leur esthétique onirique, sophistiquée…

Mon moodboard [ou « planche d’inspiration » : un assemblage d’éléments, d’images exprimant l’humeur, le style que l’on cherche à représenter à travers un projet] peut se résumer en deux mots : « Matrix médiéval ». Comme pour les voix, j’ai voulu appuyer certains costumes, certaines façons de m’habiller, évoquant toutes les possibilités d’être une femme. J’aime beaucoup les femmes dandys du XIXe siècle, celles, très sexy et un peu masculines des années 1930 ou celles des années 1980. Il y a tout ça à la fois.

Avez-vous l’impression de devoir trouver un équilibre entre la chanson grand public, populaire, et la musique plus pointue ?

Je ne m’interdis rien. Quand je mixe – je suis DJ aussi –, j’aime bien jouer avec les deux, en fédérant avec des morceaux qui nous font plaisir et en titillant la curiosité des uns et des autres en leur faisant découvrir d’autres trucs. C’est comme ça que je consomme moi-même la musique. Je n’aime pas les gens qui n’écoutent que de la musique pointue et sont snobs par rapport aux choses popu. Parfois, le mainstream m’ennuie un peu et j’aime bien aller chercher un peu plus loin.

Votre reconnaissance critique et publique est arrivée il y a cinq ans, au même moment que celle de Clara Luciani et Juliette Armanet, qui ont sorti leurs deuxièmes albums respectifs avec succès l’an passé…

C’est vrai qu’on a commencé ensemble. On a énormément de références en commun. On aime la même musique. Nous sommes amies et je suis heureuse qu’elles aient ce succès-là. Après, je vois qu’on choisit des chemins différents. Je ne me reconnais pas trop dans la chanson française. J’ai pris une autre voie. J’appellerai ça de l’hyper pop. Je chante en français mais je me reconnais davantage dans une scène internationale avec des Kirin J. Callinan, Better Person, Sean Nicholas Savage… J’ai l’impression de faire partie d’une scène global groove assez cool.

Votre public, il a un profil type ?

Absolument pas. J’ai des gens qui sont un peu bizarres (rires). Mon public est peut-être à mon image, sur la diagonale, sur un entre-deux, sur un fil. Quand ils me racontent ce que les chansons évoquent pour eux, je me dis « Ils sont fous ! » Des très gentils fous, attention (elle sourit) ! Ils ont de 15 à 60 ans et sont de toutes les classes sociales, ça, c’est vraiment génial.