70 ans de Jean-Jacques Goldman: « Il a voulu être numéro 1 mais n’a pas du tout aimé être une star »
MUSIQUE Eric Jean-Jean, auteur d’un livre sur les chansons de Jean-Jacques Goldman, commente, pour « 20 Minutes », six titres de l’artiste qui fête ses 70 ans ce lundi
- Jean-Jacques Goldman fête son 70e anniversaire ce lundi 11 octobre.
- Eric Jean-Jean a écrit un livre, Goldman, une vie en chansons, rempli d’anecdotes sur les tubes de l’artiste.
- L’animateur de RTL a accepté de passer au crible six morceaux permettant d’éclairer, refléter et résumer la carrière et la personnalité de Jean-Jacques Goldman.
Jean-Jacques Goldman fête ce lundi ses 70 ans et ses 40 ans de carrière. L’occasion de replonger dans l’œuvre de l’artiste dont le dernier album studio est sorti il y a vingt ans. 20 Minutes a proposé à Eric Jean-Jean de commenter cinq chansons de son choix qui, selon lui, résument le mieux l’auteur, compositeur et interprète si cher au coeur des Français. L’animateur de RTL, qui vient de publier Goldman, une vie en chansons aux éditions Hugo Doc, a accepté de relever le défi. Et au final, ce sont six titres qu’il passe au crible.
- « Il suffira d’un signe », la chanson tremplin (1981)
C’est la chanson de la révélation de son premier album solo. C’est aussi le fruit de dix ans de travail et de musique au sein de groupes, The Phalansters dont il était le guitariste et Taï Phong avec lequel il a connu son premier petit succès, Sister Jane. Goldman était fan de rock anglais, de rhythm’n’blues américain. Un jour, il est allé voir Zoo, un groupe de rock progressif parisien qui accompagnait Léo Ferré. Il a été subjugué par les mots du chanteur. Dès lors, il n’a eu de cesse de chanter en français. Dans ce premier album où il chante trop fort, où les thématiques sont celles que pourraient chanter Trust, il y a Il suffira d’un signe. Monique Le Marcis, la patronne de la programmation musicale sur RTL à l’époque, a été une bonne fée. Certaine du potentiel de la chanson, elle a insisté pour qu’elle soit diffusée. Le titre est sorti en septembre 1981 et a été numéro 1 au printemps 1982 avant de devenir un tube de l’été. Le Marcis a aussi présenté Jean-Jacques Goldman à Michel Drucker, qui animait alors une émission sur RTL et lui a fait faire sa première grosse télé, dans Champs Elysées. 1982, c’est aussi l’année où la bande FM a explosé ce qui a permis à la chanson d’être jouée partout.
- « Envole-moi », la chanson sociale (1984)
Jean-Jacques Goldman a signé cette chanson pour son troisième album. Il était dans sa grande période songwriter, c’est-à-dire qu’il essayait d’étudier et de comprendre ce qu’il se passait dans le monde. A l’époque, on parlait beaucoup des banlieues : quelques années plus tôt, il y avait eu des émeutes aux Minguettes, à Vénissieux (Rhône), l’assassinat d’un adolescent à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), c’est aussi la période de la marche contre le racisme. Il s’est mis à la place d’un môme vivant en banlieue. Il délivre un message important pour lui : le fait que l’éducation, les livres, l’école, l’apprentissage, peuvent tout changer. C’est l’une des premières grandes chansons sociales de Goldman. Elle est positive et porteuse d’espoir.
- « Elle a fait un bébé toute seule », la chanson d’un observateur (1987)
Cette chanson a été écrite au départ sous forme de reggae pour Philippe Lavil, qui ne l’a pas sentie. Il a capté l’air du temps : c’est la période de Femme libérée de Cookie Dingler, de la « femme des années 80 » chantée par Sardou… Les femmes font des bébés toutes seules. On n’est pas encore dans la monoparentalité ou l’homoparentalité mais dans leurs prémisses. Dans son entourage proche, il y a une attachée de presse qui élève sa fille Emilie toute seule et, de temps en temps, Jean-Jacques lui file un coup de main. Il a eu envie d’écrire sur l’aventure de cette femme qui a décidé de se passer des hommes. J’aime bien dire que Jean-Jacques Goldman est un songwriter parce que, en règle générale, il ne raconte pas sa vie mais des trucs qu’il a observés. Il a un petit carnet dans la poche arrière droite de son jean et il prend des notes. Il aurait fait un très bon journaliste. Il ressort ensuite ses notes, met de la musique dessus et ça devient des chansons.
- « Né en 17 à Leidenstadt », le chef-d’œuvre (1991)
Pour moi, c’est son chef-d’œuvre à tous les niveaux. Quand il écrit cette chanson, dans les années 1990, il a la quarantaine et essaie de prendre un peu de hauteur, une position de sage. Ce texte est quasiment un traité de philosophie. Il en dit tellement sur lui : il est le fils d’un homme d’origine polonaise, Mojsze Goldman, qui a quitté la Pologne des pogroms antisémites pour la France, s’est engagé dans l’armée, a obtenu la nationalité française, a été mobilisé sur le front, est devenu un héros de guerre, puis un héros de la résistance. C’est lui qui était à la tête du commando qui a libéré Villeurbanne. La maman de Jean-Jacques est une juive allemande dont la famille a été décimée. Dans la chanson, il prend trois points de vue. Le premier est celui d’un Allemand qui nait en 1917 à Leidenstadt, « la ville de la douleur », une ville imaginaire. Cette année-là, l’Allemagne a perdu la guerre, est humiliée par le Traité de Versailles et toute une génération d’Allemands grandit avec la haine du Français. Si lui, fils de juif qui a fait la guerre aux nazis, était né dans cette Allemagne humiliée, il aurait eu 19 ans lorsque, en 1936, Hitler est arrivé au pouvoir. Aurait-il été en colère ? Aurait-il eu la haine et fait ce qu’ont fait ces gens ? Il n’excuse pas les nazis, il se demande simplement ce qu’il aurait fait. Cette chanson est portée sur une musique très inspirée de celle de Bruce Hornsby – c’est le même pont que The Way It Is. Au début, Jean-Jacques voulait que ce musicien américain produise cet album mais cela n’a pas été possible pour des raisons d’emploi du temps. Comme c’est un gros tube, on ne se rend pas toujours compte, mais si on se plonge vraiment dedans, la chanson est fascinante.
- « Rouge », la chanson historique (1993)
Musicalement, la structure n’est pas loin de celle de Bohemian Rhapsody de Queen. ça commence par des chœurs – ceux de l’Armée rouge, un fantasme pour Jean-Jacques. Son père l’emmenait les voir au Palais des sports quand il était petit. Pour lui c’était énorme d’enregistrer avec eux. Il y a ensuite ce gros riff de guitare qu’il a offert à Nagui pour le générique de Taratata. C’est une espèce de comédie musicale en une chanson qui raconte le communisme. Ça part sur l’espoir, le Front populaire de 1936, puis, avec la guitare saturée, la guerre, puis la désillusion. C’est presque l’histoire du communisme qui est résumée.
- « Ensemble », l’ultime chanson (2001)
Jean-Jacques avait été invité aux Rencontres chorales d’Arles. Il traînait des pieds pour y aller mais s’est rendu compte que c’était incroyable. Il a pris une grosse claque en entendant une centaine de personnes chanter ses chansons. A la fin du spectacle, il leur a dit : « Dans un an, on enregistre une chanson ensemble. Elle s’appellera Ensemble ». Il a tenu parole. C’est devenu le premier single de son dernier opus, Chansons pour les pieds. Je pense que c’est un album qu’il a fait pour les copains, pour les musiciens, il voulait faire une dernière tournée. L’ultime date a eu lieu à Bordeaux mais le tout dernier spectacle, c’était en juillet 2003 aux Francofolies de La Rochelle pour rendre hommage à Jean-Louis Foulquier. Et après, cela a été fini. Ensemble va bien à Jean-Jacques Goldman qui a toujours préféré le collectif à l’individualité, l’ombre à la lumière. Il a voulu être numéro 1, vendre des disques, faire de bonnes chansons mais il n’a pas du tout aimé être une star.