« Etienne Daho me poussait au vice », confie Jane Birkin à propos de l’album « Oh ! Pardon tu dormais... »

INTERVIEW « 20 Minutes » a rencontré Jane Birkin qui sort ce vendredi un nouvel album, « Oh ! Pardon tu dormais… », pour lequel elle a travaillé avec Etienne Daho

Fabien Randanne
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La chanteuse Jane Birkin.
La chanteuse Jane Birkin. — Nathaniel Goldberg
  • Le nouvel album de Jane Birkin s’intitule Oh ! Pardon tu dormais…
  • L’artiste a travaillé sur ce projet avec Etienne Daho. « Il a eu la générosité de donner deux ans de sa vie pour créer avec moi ce disque », dit-elle à 20 Minutes.
  • Sur cet album, Jane Birkin évoque la mort de sa fille Kate dans deux chansons : « Le fait de les avoir mises sur des musiques aussi étranges à la Kurt Weill [L’Opera de quat’sous], c’est choquant et c’est bien parce que… c’est choquant. »

Etienne Daho a bien fait d’insister. Il y a un tout petit peu plus de vingt ans, il avait assisté à une représentation de la pièce Oh ! Pardon tu dormais... écrite et jouée par Jane Birkin. Il a instantanément eu l’envie de la mettre en musique. Les années ont passé et n’ont été qu’une succession de rendez-vous manqués entre les deux artistes. Finalement le disque sort ce vendredi. « Il y a eu un temps de maturation extravagant », s’amusait le chanteur l’été dernier auprès de 20 Minutes. Et puis, une fois que Jane Birkin en a eu fini de sa tournée Gainsbourg symphonique, l’heure était venue.

Avec Daho, elle a transformé ses textes théâtraux en chansons et elle en a ajouté d’autres, évoquant la mort tragique de sa fille Kate Barry en 2013, décédée en chutant du quatrième étage, sans que la cause soit déterminée. Elle avait 46 ans. « Ma fillette s’est balancée, sur le pavé on l’a retrouvée. A-t-elle ouvert la fenêtre en fait, pour chasser la fumée d’cigarette ? », s’interroge Jane Birkin dans Cigarettes dont la musique guillerette ne rend l’ensemble que plus déchirant. Le disque Oh ! Pardon tu dormais, fait claquer ces contrastes, cajole autant qu’il donne de baffes, laisse la mort rôder au côté de la légèreté. Exactement comme la Jane Birkin que l’on rencontre en interview, jonglant entre douceur et gravité.

Comment s’est passée votre collaboration avec Etienne Daho ?

C’était magique. C’est le mot. Je ne me souviens pas très bien comment on a travaillé sauf qu’on était en osmose totale. Etienne suggérait un mot, je trouvais ça formidable. Il craignait que telle chose soit exagérée, je lui répondais que c’était parfait. Il a trouvé des titres, remodelés tous mes monologues de Oh ! Pardon… Je lui ai donné des chansons qui n’avaient rien à voir, qui étaient sur ma fille Kate, Cigarettes et Les murs épais - c’est lui qui a trouvé le titre. Sur Marée Haute, il a fait la moitié de la chanson. Il a été en solidarité tout du long avec moi. Ce qui est de lui ou de Jean-Louis Piérot [l’autre producteur], je ne sais jamais trop. C’était gai, productif. Etienne voulait me mettre en valeur. Il croyait même dans la photo de la pochette alors que je me trouvais moche et que mes enfants ne me reconnaissaient pas. Là, je la vois et il avait raison.

Il était donc l’allié parfait ?

Il avait été un producteur formidable pour Lou quand elle a fait I.C.U. Il a eu la générosité de donner deux ans de sa vie pour créer avec moi ce disque. Je ne l’aurais pas fait si ce n’était pas pour l’excitation de la pièce qu’il a vue il y a tant d’années. Je n’avais rien d’urgent à dire et je ne suis pas sûre que je sois la même personne qui était si troublée, si violente, jalouse et nostalgique que j’étais quand j’ai écrit Oh ! Pardon [en 1999]. Toute cette énergie, cette pulsation, cette sexualité vient d’Etienne. Je ne sais pas quel disque j’aurais fait ni même si j’aurais eu l’idée d’en faire un. Cela aurait été un disque de réminiscences, de mélancolie, de temps qui passe, ça aurait été chiant je crois.

Etienne Daho nous disait que votre album allait être « un grand disque ». Vous avez l’impression que « Oh ! Pardon tu dormais » est le plus important de votre discographie ?

Je sais qu’Etienne pensait ça dès le départ. Avec Enfants d’hiver [sorti en 2008], j’étais contente d’au moins trois ou quatre chansons que Souchon avait écrites avec moi. Je trouvais ça vraiment bien, mais personne ne m’a suivi dessus. Et c’est comme ça. C’étaient des chansons peut-être pas très homogènes parce que venant de différents auteurs. Il y avait une telle nostalgie sur l’enfance que si ça se trouve ça faisait un peu trop fragile. Je suis habituée des chansons qui ne sont pas des tubes et ça existe, on a la chance que ça existe. Mais j’étais sidérée qu’en Angleterre le magazine Mojo avait donné quatre étoiles au disque. J’étais prise au sérieux tout d’un coup. Ça m’a fait énormément plaisir, parce que je n’attends jamais rien d’Angleterre, je m’attends plutôt à ce qu’ils ne soient pas intéressés. Cette fois-ci, si. Le journal intime [Post-Scriptum – Journal, 1982-2013, éditions Fayard] aussi a bien marché en anglais. Alors, je suis en paix avec mon vieux pays.

Sur cet album, il y a des chansons, mais aussi des dialogues parlés. Cela vous plaisait, cet aspect hétéroclite ?

J’étais très à l’aise pour une fois parce que je n’avais pas à chanter particulièrement haut. Je n’avais pas l’angoisse de savoir si ma voix allait péter, de ne pas sortir la nuit avant. Je vis dans une telle rigueur quand je fais des concerts que je ne m’amuse pas beaucoup. C’est normal, peut-être que je veux souffrir un peu pour que ce soit bien. Pouvoir parler c’était très agréable, je l’avais fait sur un autre disque. Là, comme c’étaient mes mots à moi, ils n’étaient pas compliqués à retenir.

Il y a ce dialogue assez drôle avec Etienne Daho, sur le mot fruit que vous redoutez de prononcer. D’ailleurs, vous l’épelez. C’est vrai que vous avez réellement cette aversion ?

C’est réel, c’était dans la pièce. Il fallait bien rigoler à un moment donné. Il me force à dire des mots que je n’arrive pas à dire. Ce ne sont pas des mots vulgaires comme on pourrait imaginer mais des mots aussi bêtes que f-r-u-i-t [elle épelle chaque lettre]. Mais justement, ce mot-là a une connotation qui est probablement sexuelle, sensuelle, en tout cas hautement gênante et excitante à la fois. Même les choses qui sortent de ces f-r-u-i-t-s [elle épelle encore], si on les écrase, même ce mot-là me dérange. Et en anglais aussi. C’est même pire.

Est-ce vrai que vous avez hésité à faire figurer « Telle est ma maladie envers toi », qui évoque votre jalousie, sur l’album ?

J’ai hésité à mettre ce texte dans mon journal intime. C’était une telle réflexion sur moi-même qui était si peu flatteuse, voir terrifiante… Et puis j’ai eu l’orgueil de l’écrivain : je trouvais que c’était bien écrit et que l’idée même était tellement monstrueuse que c’était photogénique. De ce journal, c’est la seule entrée dont Etienne trouvait que ça ferait une très bonne chanson. Il me poussait au vice. Souvent, il voulait que ce soit dur, un peu nasty, pas sucré, ni gentil tout le temps.

Chanter les deux chansons évoquant votre fille Kate a été un exutoire ?

Non. Je les avais écrites toutes les deux dans un moment très pénible alors que j’étais à Lyon en tournée. Le fait de les avoir mises sur des musiques aussi étranges à la Kurt Weill [L’Opera de quat’sous], c’est choquant et c’est bien parce que… c’est choquant. C’était une idée, une audace d’Etienne et Jean-Louis. Ils ont bien fait. Il paraît que j’ai tardé à leur dire que c’était bien. Ils ont été un peu angoissés pendant trois jours. Ce ne sont pas des chansons que je réécoute, surtout Cigarettes.

L’album, après avoir été décalé, sortira le 11 décembre, à la date anniversaire de la disparition de votre fille Kate…

Il y avait d’autres dates possibles. Il devait sortir plus tôt. Quand on m’a dit qu’il fallait le reporter à fin février, j’étais affligée. Je me disais « Comment on va garder l’enthousiasme ? » J’avais déjà fait pas mal d’interviews et pas des moindres, on avait déjà eu des couvertures. Quand, après, on m’a dit que le disque sortirait en décembre, le 11… J’ai essayé de faire dans ma tête que c’était une bonne chose. Et qu’elle était loin d’être oubliée. Ça fait sept ans.

Vous croyez au destin ?

Non. Je n’ai jamais cru au destin, j’ai toujours pensé qu’on pouvait changer les choses, qu’on était entièrement responsables. C’est peut-être pour ça que j’ai un sens très développé de la culpabilité. Je me demande toujours si j’aurais pu faire autrement, si c’était la bonne décision. Je remue tout ça. J’aurais pu dire non. Ça tombait comme ça et quand les choses tombent comme ça, il faut les prendre bien, même très bien.

Envisagez-vous de boucler la boucle et de revenir sur scène avec ces chansons ?

On a une résidence en mars, donc on sera sur la route en avril, si tout se passe bien. [Elle cherche à toucher du bois, n’en trouve pas sur les meubles autour d’elle, alors elle fouille dans son sac à main, en vain.] Ce n’est pas prudent, ça, de ne pas avoir du bois. [L’interview se déroulant dans un salon du siège de Gibson, à Paris, elle se lève, se dirige vers une guitare et la touche] Je suis très superstitieuse. Ça me semble extravagant d’imaginer une tournée en avril parce qu’on est tellement habitués à vivre de jour en jour. Et pourquoi pas ? Ça fait que tout est une surprise.