« Avec un frère schizophrène, il y a de la souffrance mais aussi énormément de moments incroyables », confie Gringe

RECIT Le rappeur dévoile la maladie de son frère, la schizophrénie, dans le livre « Ensemble, on aboie en silence »

Propos recueillis par Clio Weickert
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Gringe se livre sur son frère dans le «Ensemble, on aboie en silence».
Gringe se livre sur son frère dans le «Ensemble, on aboie en silence». — Melania Avanzato
  • Après le rap et la comédie, Gringe fait ses premiers pas dans le monde de la littérature.
  • Dans le livre Ensemble, on aboie en silence, il dévoile la maladie de son frère, la schizophrénie.
  • L’auteur s’est raconté à 20 Minutes, par bribes.

Gringe explore un nouveau territoire. Connu pour son binôme des Casseurs Flowters avec Orelsan, ou encore son rôle dans la série Bloqués sur Canal+, c’est dans le domaine de la littérature que le rappeur entame la rentrée. Ce mercredi, Guillaume Tranchant de son vrai nom, présente Ensemble, on aboie en silence (Harper Collins et Wagram Livres), un premier livre très personnel qui lève le voile sur la maladie de son petit frère Thibault, diagnostiqué schizophrène à l’âge de 21 ans.

Ni roman ni « bouquin clinique » précise l’auteur, qui donne ici vie à un récit polyphonique, mêlant ses écrits aux textes poétiques de son cadet, pour reconstituer le puzzle de leurs vies. Au travers de ce voyage au pays d’une maladie insidieuse et insaisissable, Gringe célèbre la force des liens fraternels, malgré la douleur, la culpabilité et les silences. Il se raconte par bribes à 20 Minutes en revenant sur les différents chapitre de son livre.

Chapitre 1 : Se jeter dans l’écriture

« Je ne sais pas si c’est ce livre qui m’a servi de déclic, mais j’envisage désormais autrement les disciplines que je pratique, le rap, la comédie, et maintenant l’écriture. Je réfléchis à ce que je peux créer à partir de ça, une création scénique peut-être. J’ai grandi en observant mes parents théâtreux avec des artistes en permanence à la maison, j’ai des idées un peu floues mais… C’est la liberté en fait, je me suis rendu compte qu’écrire un bouquin c’était vraiment un espace d’expression illimité. Et d’un coup ça m’a sorti la tête du rap, de ce que je connaissais de l’écriture. C’est vraiment un terrain de jeu sans fin. Il y aura une suite, mais je ne sais pas quelle forme elle aura ».

Chapitre 2 : Trouver un titre

« Je le dois à l’un de mes éditeurs chez Wagram Livres. Il trouvait que ce titre, présent dans le chapitre sur le chien de mon frère, résumait pas mal notre relation à Thibault et moi, mais aussi cette pathologie que les schizophrènes subissent de manière hyper intériorisée, le fait de crier en silence. Ils font un boucan d’enfer sans que personne ne s’en aperçoive. Mon frère m’a expliqué que c’est comme si on évoluait continuellement avec un casque sur les oreilles avec du son à fond. Cette phrase, "ensemble, on aboie en silence", c’est à la fois beau et criant de vérité. »

Chapitre 3 : Ouvrir les yeux sur la schizophrénie

« Ça me semblait nécessaire d’aborder la pathologie, mais à certains endroits seulement car j’avais envie de privilégier le récit littéraire pour mieux faire avaler la pilule. J’avais peur qu’un bouquin sur la schizophrénie fasse peur ou intéresse peu les gens… Comme toute maladie, tant qu’on ne vit pas le truc de l’intérieur ou tant qu’on n’est pas touché, ça nous passe un peu au-dessus de la tête. Je me disais donc que j’avais suffisamment de matière pour raconter des choses intéressantes, et distiller de temps en temps des infos sur la maladie, expliquer ce que vivent les personnes schizophrènes, les traitements, l’environnement médical dans lequel ils évoluent, les promesses ou non de guérison… C’était indispensable que mon frère soit d’accord aussi et que je lui fasse prendre conscience qu’à travers ses témoignages et son implication, il pourrait y avoir un impact sur les gens concernés. Je ne voulais pas qu’il soit un porte-parole de quoi que ce soit. Mais s’il se sentait en capacité de raconter ses histoires, ça pouvait peut-être faire en sorte que des gens se sentent moins seuls et incompris. Il l’a tout de suite intégré. »

Chapitre 4 : Se débattre avec la culpabilité

« Ce sentiment de culpabilité c’est ce truc qu’on se dit à un moment donné : "A quel moment on a mal fait ? A quel moment on aurait pu éviter ça ? On a forcément foiré un truc dans l’éducation ou dans l’accompagnement de son frère…" J’étais dans les mêmes écoles et les mêmes cours de récréation que lui, on passait nos vies ensemble, collés l’un à l’autre, jusqu’au lycée. Comment je n’ai rien vu venir ? Ensuite il y a aussi la culpabilité qui se manifeste par la colère, le rejet, je ne comprends plus qui est mon frère… Puis je suis rattrapé par la réalité, par l’amour qui existe entre nous, et je lui rends de nouveau visite, j’ai besoin de comprendre de quoi il souffre, comment il vit, comment je peux lui être utile… Et même si c’est un chemin de résilience que j’emprunte à ce moment-là, et qui m’est bénéfique, il y a beaucoup de culpabilité. Je comprends la réalité dans laquelle il est prisonnier et de laquelle je ne peux pas l’extraire. »

Chapitre 5 : Se draper dans la mélancolie

« La mélancolie c’est quelque chose que j’entretiens un peu aussi, qui m’aide à écrire, à me sentir vivre, qui est sournois. Ce truc avec lequel tu peux faire corps, tu peux réussir aussi à ne plus t’en débarrasser ou le maintenir à l’écart. Parfois tu embrasses complètement ta noirceur et ça peut devenir dangereux. C’est inhérent à qui je suis et à ma manière d’écrire. Le seul truc où je me dis que le bouquin est un peu plus solaire et moins anxiogène que tous les morceaux solos que j’ai pu faire, c’est que je me décentre un peu de moi. Je suis sur mon frangin et l’environnement dans lequel on évolue, les voyages, la famille… Et je me fous la paix un peu, pour la première fois sur un projet d’écriture. Bien sûr tu peux être mélancolique et solaire, mais moi ce n’est pas le cas ! Je suis très peu optimiste sur le monde dans lequel on évolue, pas nihiliste mais il y a un côté où je me dis "foutu pour foutu…" Ce bouquin avec mon frère est une petite parenthèse heureuse dans un truc un peu merdique où je vois la vie comme une espèce de peine à purger (rires). »

Chapitre 6 : Péter les plombs

« C’était très lié à la relation avec mon frère et cette exposition que je trouvais injuste : le succès, la réussite, cet amour qu’on me jetait à la gueule et les tapis rouges partout alors que mon frère en chiait en cachette. D’autant que d’un coup, ma petite notoriété occupait toutes les discussions de famille et que mon frère pouvait avoir le sentiment d’être encore plus isolé qu’il ne l’était déjà. C’était limite inadmissible et quelque chose que je ne pouvais pas m’autoriser. Je ne dis pas que je vivais mal ce qui m’arrivait et que je faisais tout pour me saboter, mais il y a eu des épisodes où je me défonçais et forcément ça se répercutait sur ma vie artistique, et privée. »

Chapitre 7 : Vider son sac

« Tous ces trucs que je balançais un peu en vrac dans Enfant lune [son premier album solo en 2018], je le condense sur un chapitre, "le syndrome du survivant". Il y a tout ce que j’ai pu aborder dans mes morceaux quand je parlais de mes relations dysfonctionnelles, en amour, en famille, ma mélancolie… Je finis de vider mon sac. Mais c’est le seul endroit où je le fais. Je fustige parfois aussi mon rôle de grand frère, mais je dis également que c’est magnifique d’évoluer aux côtés d’un frère schizophrène et que je mesure pleinement ma chance d’avoir ce frangin-là. Alors ça arrive en fin de bouquin puisqu’il faut bien le conclure et je ne suis pas du genre à faire des happy ends… Mais la vérité c’est qu’il faut nuancer tout ça. Il y a de la souffrance mais aussi énormément de moments incroyables, qu’on peut vivre à deux encore aujourd’hui. C’est quand même une drôle d’aventure, notre relation fraternelle. »

Epilogue : Une lecture nécessaire

« Je n’avais jamais été résilient avant ça, j’ai juste surtout touillé la merde comme on dit vulgairement. Je ravivais des souvenirs où je réactivais des sensations mauvaises pour écrire, sur Enfant lune. Ce sont de jolis morceaux mais ce qui m’en restait après coup, je sentais bien que ça ne me faisait pas du bien. J’avais juste remonté des trucs pénibles. Avec ce bouquin j’ai le sentiment, avec le concours de mon frangin bien sûr, de nous avoir offert une lecture sur notre histoire, qui nous permet de mieux nous comprendre et comprendre ce par quoi on est passé. C’était nécessaire. Et en plus on met en lumière, à notre niveau, ce qu’est la schizophrénie, et comment vivent les personnes touchées par ça, en espérant que ça puisse sensibiliser les gens qui le liront. »