« 365 jours » : Sur Netflix, un film polonais qui érotise le viol fait polémique
VIOLENCES FAITES AUX FEMMES Le film polonais « 365 Dni » (« 365 jours »), visible sur Netflix depuis le 9 juin, raconte l’histoire d’un mafieux sicilien qui séquestre une jeune femme pour qu’elle tombe amoureuse de lui
- Le film 365 Dni n’a pas quitté le top 10 des contenus les plus vus sur Netflix depuis sa mise en ligne le 9 juin. Il raconte l’histoire d’un mafieux sicilien qui séquestre une jeune femme pendant un an dans l’espoir qu’elle tombe amoureuse de lui.
- Classé dans la catégorie « romantique » par Netflix, 365 Dni cumule les stéréotypes sexistes et les mythes relevant de ce que les théoriciennes féministes ont appelé la « culture du viol ».
- 365 Dni peut-il nuire à l’image de Netflix ? Une source proche de la plateforme confie, gênée, que le film « ne reflète pas (sa) ligne édito ».
Jusque-là, quand on pensait à Netflix, on avait en tête des séries comme Orange Is the New Black ou Les Nouvelles Aventures de Sabrina. La première étant pionnière dans la mise en avant d’une personne trans à l’écran, la deuxième labellisée série féministe. Désormais, on aura aussi 365 Dni («365 jours »), réalisé et produit par Barbara Białowąs. Un film polonais, mis en ligne le 9 juin sur la plateforme, qui fait polémique en véhiculant une série de clichés sexistes et une vision érotisée du viol.
L’intrigue met en scène Massimo, un mafieux sicilien qui voit son père mourir devant ses yeux, quelques secondes après avoir aperçu sur une plage une jeune et belle Polonaise, du nom de Laura. Obsédé par cette image, le riche et puissant bellâtre se met en tête de retrouver cette femme. Comme dans le roman best-seller de Blanka Lipinska, il finit par la retrouver et la séquestre dans son château sicilien, avec piscine incluse. Il lui donne 365 jours pour tomber amoureuse de lui. Au-delà de ce délai, il la relâchera si la damoiselle ne s’éprend pas de lui.
Un film très vu
Ce pitch pourrait à lui seul laisser envisager qu’on a affaire à un immense navet qu’on aurait aimé pouvoir simplement ignorer. Or, il atteint de tels sommets sur la plateforme numérique – il est ce mardi, plus de dix jours après sa mise en ligne, en troisième position du top 10 des contenus les plus vus sur Netflix France – que des voix s’élèvent pour dénoncer un exemple gratiné de ce qu’on appelle la « culture du viol ». Et qu’un décryptage s’impose.
« La culture du viol est la manière dont une société se représente le viol, les victimes de viol et les violeurs à une époque donnée. Elle se définit par un ensemble de croyances, de mythes, d’idées reçues autour de ces trois items. On parle de "culture" car ces idées reçues imprègnent la société, se transmettent de génération en génération et évoluent au fil du temps », résume Valérie Rey-Robert dans le livre Une culture du viol à la française.
Le film cultive l’ambiguïté
La culture du viol, selon de nombreuses théoriciennes féministes, érotise le viol pour le rendre plus acceptable. C’est le cas d’une des toutes premières scènes de 365 Dni, dans lesquelles Massimo saute sur une hôtesse de l’air et sans ménagement ni paroles la positionne devant sa braguette.
La femme n’exprime pas de contestation verbale, certes, mais a clairement été bousculée. Le film cultive cette ambiguïté : après cette fellation brutale, elle aura des larmes, mais aussi un petit sourire. Violée sans doute, mais heureuse – comme s’il était possible de l’être. Plus tard dans le film, Massimo « corrigera » Laura après une dispute en la baisant/violant, ses protestations se transformant en approbation.
Le film ne fait que répéter, à longueur de scènes, cette idée : les femmes voudraient être forcées. « C’est le b.a.-ba de la culture du viol: quand elle dit "non", c’est simplement qu’il faut lui laisser du temps pour qu’elle dise oui », analyse Geneviève Sellier, historienne du cinéma française et fondatrice du site Le Genre et l’Ecran.
Laura subit quatre agressions sexuelles et sept scènes d’étranglement, filmées comme un shooting photo de mode. La scène du simili-viol dans l’avion « est filmée en pleine lumière, en revanche l’actrice qui se masturbe dans un montage en parallèle se trouve dans le noir complet, comme si le fait de se masturber était beaucoup moins banal que d’être violée », relève Eléonore Stévenin-Morguet, qui anime le site 1001 héroïnes, et a compté les scènes d’étranglement.
« Le personnage féminin est falot »
L’agresseur est montré comme un prince charmant. Alors qu’il la poursuit sur son yacht, elle tombe dans l’eau. Mais il plonge pour la repêcher et sera vu comme un sauveur… auquel elle consentira, cette fois. Nombre de ses actions s’articulent autour d’un schéma qui ressemble fort à ce que les féministes appellent la « stratégie de l’agresseur », relève Eléonore Stévenin-Morguet : isolement, dévalorisation, inversion de la culpabilité, menaces. On voit par exemple Massimo contrôler les achats de vêtements de Laura.
Le héros a une histoire, un passé, un présent, un futur : on l’a vu près de son père, on a planté le décor. On sait en revanche à peine ce que fait l’héroïne, qui n’a pas l’air d’avoir d’existence propre, autre que celle de faire du shopping, relève Alice Rahmoun, l’autre animatrice de 1001 héroïnes. Lorsque les femmes parlent entre elles, ce n’est d’ailleurs que pour parler des hommes. « Le personnage féminin est falot, il n’est rien d’autre qu’un fantasme masculin », résume Geneviève Sellier.
Princesse superficielle
L’héroïne est présentée tantôt comme une fragile petite fille, qui ne cesse de s’évanouir, tantôt comme une sorte de diablesse obsédée par le sexe. « Ce sont tous les stéréotypes de la femme qui a besoin d’être protégée », explique Gaëlle Démare, de l’équipe d’organisatrices de l’association féministe NousToutes. L’enfant et la putain, puis à la fin, la mère, figure qui la rachète forcément, tout en la renvoyant à sa fonction d’utérus, après avoir été présentée comme une femme-objet, une sorte de princesse superficielle qui passe son temps dans des boutiques.
Car les femmes finissent toujours par payer ces stéréotypes dans lesquels les enferment les hommes. Puisqu’elle n’a aucune indépendance et n’existe que par et pour l’homme, Laura est aussi présentée comme vénale, capricieuse et hystérique. Un programme ultrasexiste annoncé dès les premières minutes du film, où le père de Massimo le mettait en garde par cette sentence : « Une femme belle est le paradis des yeux, l’enfer de l’âme et le purgatoire de la bourse », citant Bernard Fontenelle, un des nombreux écrivains machistes que compte le panthéon littéraire français.
« Latin lover » à la sauce masculiniste
365 Dni a beau être réalisé par une femme, et surfer sur la vague du mommy-porn (porno pour mamans) à la 50 nuances de Grey, toute sa structure narrative, la façon dont la caméra s’attarde sur l’actrice et sur les corps relève du « male gaze », un regard masculin, perclus de stéréotypes. « Les scènes de sexe sont très violentes, avec un rythme effréné quasi uniquement focalisé sur des fellations. On est à 80 % dans des fantasmes masculins », note l’historienne Geneviève Sellier.
Le héros possède tous les attributs d’une vision machiste de la puissance : les flingues, les pectoraux, les muscles, le fric. Et la bestialité : on le voit d’ailleurs en portrait au côté d’un lion. « C’est une vision de la masculinité réduite aux formes élémentaires de la domination masculine : l’homme c’est celui qui cogne, sort son flingue, qui a des biscoteaux », analyse Geneviève Sellier. Une figure de latin lover « revisitée à la sauce masculiniste », selon l’historienne, qui se souvient que la figure du latin lover fut au départ un fantasme féminin, à travers par exemple un acteur comme Rudolph Valentino.
« 365 Dni » et l’image de Netflix
Le problème, souligne Gaëlle Démare, c’est que le film risque d’avoir des conséquences très concrètes sur les jeunes adultes qui le regardent : « C’est horrible de montrer que c’est en s’imposant que cela va fonctionner. » Le film est assorti d’une restriction pour les moins de 16 ans, mais aussi classé dans la catégorie « romantique », à côté de films nettement moins violents. Ce qui suscite l’interrogation d’Alice Rahmoun. Elle se demande s’il ne faudrait pas un avertissement plus explicite, qui signale mieux la catégorie « violences sexuelles ».
365 Dni n’est pas produit mais seulement distribué par la plateforme, au contraire des deux séries citées au début de cet article. Mais on peut se demander quelle cohérence il y a à produire de telles séries et à distribuer 365 Dni, comme si l’engagement sur lequel joue la société pour s’attirer la bienveillance de la jeunesse féministe et progressiste n’était qu’à l’aune de son porte-monnaie. « C’est du cynisme absolu. Netflix c’est l’expression la plus aboutie du capitalisme hollywoodien. Ils produisent tout ce qui est susceptible de correspondre à leurs cibles. Une agrégation de publics de niches », critique Geneviève Sellier.
365 Dni peut-il nuire à l’image de Netflix auprès de la jeunesse des grandes villes ? « C’est assez surprenant car il y a un travail intéressant dans les séries Netflix sur le consentement et les relations amoureuses, comme dans Unbelievable ou Sex education, et là cela ruine tout », se désole Gaëlle Démare. Une source proche de Netflix confie, gênée, que le film « ne reflète pas la ligne édito » de la plateforme. Et cite le « nombre très important de titres » diffusé par la multinationale. Erreur de casting ou stratégie de niches ?