Le loup qui fêtait ses dix ans : « Notre loup ressemble énormément à un enfant »
LITTERATURE JEUNESSE Oriane Lallemand et Eléonore Thuillier racontent à « 20 Minutes » les origines de leur très populaire loup, qui fête ses dix ans
Il a fêté ses dix ans début septembre. Le 10 septembre 2009 sortait en librairie Le loup qui voulait changer de couleur, aux éditions Auzou, l’histoire d’un petit loup noir qui ne s’aimait pas, et tentait toutes les couleurs de l’arc-en-ciel avant de se rendre compte que celle d’origine lui allait très bien. Dans la droite lignée d’un Loulou de Grégoire Solotareff, ou de Lucas, le Loup sentimental de Geoffroy de Pennart, celui-ci ne fait pas bien peur. Il se pose les mêmes questions que les enfants qui le lisent, devient ami avec d’autres animaux, s’essaye à la chanson ou au vélo… Mais aussi voyage dans le temps, parcourt les océans ou enquête au musée.
Ce loup-qui-ne-fait pas peur eux enfants a été vendu à plus de 7 millions d’exemplaires. Le loup qui… est lu dans les écoles, on le trouve en peluche et en format pour les tout-petits, P’tit Loup. Depuis 2018, ses aventures ont été adaptées en dessin animé TF1. Le 5 octobre, il aura droit pour la première fois à un spectacle sur scène. A l’occasion de cet anniversaire, 20 Minutes a rencontré Orianne Lallemand, auteure, et Eléonore Thuillier, illustratrice, les créatrices de ce canidé attachant.
Le loup est un personnage récurrent de la littérature. Quelle est la particularité de « votre » loup ?
Orianne Lallemand : C’est un anti héros. Il est maladroit, il est gaffeur… Et surtout, il ressemble énormément à un enfant. Il n’arrive pas à faire tout du premier coup, il s’énerve, il fait des caprices…
Eléonore Thuillier : Pour le dessiner, j’avais envie qu’il ait l’air un peu maladroit, un peu bêta. Et ça a plu !
OL : Quand je l’ai vu, je l’ai trouvé parfait : il est différent des autres, il n’a plus rien du grand méchant loup.
ET : S’il avait été un méchant loup, je ne l’aurais pas dessiné comme ça !
OL : Nous voulions vraiment créer un « anti » loup. Une de mes filles avait très peur du loup. Je trouvais assez dingue qu’on puisse avoir aussi peur du loup à notre époque, alors que les parents ne menacent plus vraiment avec le loup. Mais elle est nourrie de contes, où il est omniprésent. Dans la littérature jeunesse, encore aujourd’hui, quand on a besoin d’un grand méchant, on choisit un loup – je le fais aussi en tant qu’auteure.
Quels étaient « vos » loups avant celui-là ?
OL : Pendant longtemps, mon loup était le grand méchant loup des contes. Après, en lisant pour mes enfants, j’ai redécouvert le loup en littérature jeunesse : celui de Geoffroy de Pennart, qui est le premier à en avoir fait un anti-héros [depuis Le loup est revenu en 1994, à L’Ecole des loisirs, N.D.L.R.], ou celui de Mario Ramos, qui est un grand méchant loup…
ET : Quand j’étais petite, c’étaient les contes, puis j’ai aussi lu Geoffroy de Pennart à mes enfants… Le loup m’a toujours fascinée. Il a toujours été là, dans les montagnes… C’est une bête comme une autre, qu’on a accusée de beaucoup de choses. J’espère bien que nos histoires transmettent une image positive de cet animal !
OL : Il a un passé lourd, c’est le grand méchant de notre culture. Mais il fascine les enfants !
Comment travaillez-vous toutes les deux sur chaque album ?
ET : Nous discutons d’abord de la piste que l’on veut explorer ensemble, puis avec l’éditeur. Ensuite, Orianne est libre d’écrire son texte, qu’elle me soumet ensuite. Idem pour le dessin ! Je soumets ce que j’ai fait à Orianne, puis à l’éditeur.
OT : Après, on retravaille. Parfois, Eléonore constate qu’une partie de l’histoire ne tient pas la route, ou pense qu’un élément ne marchera pas en dessin…
ET : Orianne peut aussi avoir des idées au niveau du dessin que je n’avais pas eues !
OL : Pour qu’on se lance sur une idée d’histoire, il faut que ça nous plaise à toutes les deux. On en discute, parfois des idées remontent de nos enfants ou des écoles aussi… Parfois, nous avons une idée de sujet mais je n’arrive pas à écrire dessus. Par exemple, on a plein de choses à dire sur les écrans et leur utilisation par les enfants, mais nous n’arrivons pas à voir comment aborder le sujet !
Le loup a-t-il beaucoup évolué en dix ans ?
ET : Oui ! Ma main s’est faite au personnage, à force de le dessiner. Un moment le loup est devenu plus rond, puis il s’est allongé ! Maintenant, il ne bouge plus trop, sa forme actuelle est stable. C’est comme ça avec tous les personnages dessinés pendant longtemps : Astérix, par exemple, a beaucoup changé avec les années.
OL : En termes d’écriture aussi, j’ai complexifié l’histoire, presque malgré moi ! C’est normal, nous sommes tellement attachées à ce personnage et à son univers, que nous voulons en raconter toujours plus. A chaque texte, on écrème beaucoup. Aujourd’hui, les histoires s’adressent à des enfants un peu plus grands que les premiers albums. Ce sont désormais des livres que les parents lisent à leurs enfants jeunes, mais aussi que les plus grands lisent seuls, et ça c’est super.
ET : Le personnage a grandi avec les lecteurs…
OL : D’ailleurs, avec les dix ans c’est une première génération qui se termine. On avait des lecteurs qui ont grandi avec et ne le lisent plus, et c’est le petit frère ou la petite sœur qui prend le relais.
Est-il important pour vous de transmettre un message avec les aventures du loup ?
OL : Oui, nous avons souvent cette volonté d’une morale pédagogique, ou « moralisante » mais dans le joli sens du terme. Et ce, dès le premier album, qui portait sur la différence, et l’importance de s’aimer tel qu’on est. Parfois c’est très léger : dans Le Loup qui fêtait son anniversaire il n’y a aucune visée pédagogique, si ce n’est que l’amitié, c’est important. Le Loup qui avait un nouvel ami ou Le loup qui apprivoisait ses émotions étaient plus difficiles à écrire, il faut raconter quelque chose de plus profond. Je ne veux pas qu’il y ait un message important dans toutes les histoires, sinon ça s’épuise.
Vous attendiez-vous à un tel succès quand vous avez commencé ?
OL : Non, au début il ne devait y avoir qu’un livre. C’est pour cela que l’histoire s’est étoffée au fil du temps : à partir du troisième livre je me suis posé plus de questions sur les caractères des personnages, leur fonctionnement… Nous avons commencé à sentir vraiment le succès du personnage après le troisième album, Le Loup qui cherchait une amoureuse.
ET : Le retour des lecteurs, et surtout les files d’attente lors des dédicaces, nous ont fait prendre conscience du succès de notre loup.
OL : Il y a vraiment des fans du loup. Ils nous envoient des histoires, leurs propres livres du loup. C’est notre plus grand succès : que les lecteurs soient tellement attachés au personnage qu’ils passent à l’écriture.
Pensez-vous que le loup va continuer à vivre des aventures pendant encore longtemps ?
OL : Tant qu’on a le succès des lecteurs et des idées…
ET :… On aimerait bien, oui, c’est très gratifiant !
OL : Mais on ne peut pas prédire un succès, et combien de temps il va durer.
ET : Il y a une telle offre en littérature jeunesse, tellement de choix. C’est compliqué d’arriver à marquer les enfants.
OL : Nous avons toutes deux fait d’autres livres, d’autres albums, et beaucoup ne sont déjà plus imprimés. Les durées de vie d’un livre sont très courtes aujourd’hui, avec la surproduction. Parfois, on ne donne que six mois à un livre pour voir s’il marche ! C’est bien de pouvoir se dire que Le loup qui… ce sont des livres de fond, un univers construit qui va rester.