Handicap et accessibilité: Le chansigne permet de traduire la musique dans un monde silencieux

SENS FIGURES (2/4) Comment transmettre la sensation du chant dans un univers insonore ? Par le biais du chansigne, un art de plus en plus répandu

Marie Gicquel
— 
Clémence Colin, chansigneuse, propose d'interpréter en chansigne les tubes d'Angèle à Pierre Lapointe
Clémence Colin, chansigneuse, propose d'interpréter en chansigne les tubes d'Angèle à Pierre Lapointe — C.C.
  • Alors que l’accès à la culture et aux médias est en pleine mutation numérique, les sourds et aveugles sont-ils les grands oubliés de cette révolution ?
  • « 20 Minutes » passe en revue diverses pratiques culturelles pour savoir quelles initiatives étaient mises en place pour une meilleure accessibilité des œuvres.
  • Aujourd’hui, nous nous penchons sur le Chansigne qui consiste à interpréter la musique avec son corps.

« C'est la première fois que j'entends chanter les oiseaux dans mon bar » lui a confié un jour, Philippe, le patron du Bistrot de la cité. Clémence Colin, chansigneuse, venait alors de se produire dans cette institution du rock  à Rennes, ville festive où le bruit ne s'arrête jamais. Un compliment pour Clémence : « Quand on arrive à suspendre le temps, c'est magique. » Et effectivement la magie opère : lorsque le bruit n'existe pas, comment parvient-on à retranscrire en signes une chanson ? 

Cette jeune artiste sourde, chansigneuse depuis cinq ans, propose ces spectacles poétiques à travers la France et même à l'étranger, dans les pays francophones. Accompagnée par un musicien, l'intermittente monte sur scène pour « signer » la mélopée. « Il est aussi difficile de définir le chansigne que le chant. Du coup j'ai arrangé la définition du mot "chant" dans le Larousse. » Voici donc la définition du chansigne proposée par la jeune femme : « "Suite de signes modulés émis par le corps humain, qui, par la différence de rythme et d'amplitude produisent des sensations variées." C'est une définition pompeuse pour dire que je fais corps avec la musique. Un chanteur anglais ne chante pas que pour les anglophone, moi c'est pareil. »

Une forme artistique 

Comme elle le souligne, le chansigne n'est pas une adaptation ni une traduction de la musique et de ses paroles, c'est vraiment une interprétation. Une danse basée sur l'expression du visage, les mains et le corps. La chorégraphie se cale aux vibrations de la musique mais s'élabore surtout en dialoguant avec les musiciens : les images qu'ils voient quand ils composent, l'atmosphère dégagée par un mouvement, les sensations liées à la pratique de l'instrument aussi. « Le but n'est pas de rendre accessible du français pour les sourds mais bien de créer dans ma langue. Mes partitions sont à mi chemin entre le hiéroglyphe et la BD. » 

L'un des pionniers de cet art est le rappeur américain Sean Forbes. Père et mère musiciens, il se voit offrir une batterie à l'âge de 5 ans, bien qu'il ait perdu 90% de son audition. Il sortira un clip traduit en langue des signes Im deaf.

Art étendu mais peu connu

Clémence Colin s'est formée toute seule : pas d'école, ni de conservatoire, elle a développé son propre style de chansigne. Aujourd'hui, elle enseigne même cet art. Plus branchée jazz et Thomas Fersen que hip-hop ou métal, elle laisse la place à d'autres chansigneurs pour ces styles de musique. 

La pratique, peu connue par le grand public, se transmet de bouche à oreilles « ou plutôt de main à yeux ». Hardsigne, rapsigne slowsigne... Toutes les déclinaisons sont possibles. La règle d'or reste la même : tenir la synchronisation avec les paroles, comme on le voit dans cette vidéo de rapsigne avec Wiz Khalifa et trois chansigneuses. 

Distribution de gilets vibrants 

Le chansigne s'exporte désormais dans les festivals. L'un des précurseurs est le Hip Opsession. Ce festival nantais, implanté depuis quinze ans, invite depuis plusieurs années des chansigneurs et s'est fait la promesse de rendre, un jour, son événement « entièrement accessible à tous ». « La première fois, on a produit des créations en chansigne » confie le responsable de la communication. Lors de la dernière édition, en février dernier, Hip Opsession a même génialement innové en proposant à son public sour, des caissons vibrants sur lesquels monter, et des colonnes vibrantes sur lesquelles vibrent le flow des artistes. Dernière petite révolution : des gilets vibrants, créés par la marque Subpac. On les porte comme des sacs à dos puis on laisse les aigus et les graves envahir notre corps. Une émotion artistique toute neuve.