VIDEO. «Mortal Kombat»: «Nous voulions que ce soit un jeu méchant, l'opposé de “Street Fighter”»
INTERVIEW Près de trente ans après ses débuts, le jeu de combat « Mortal Kombat » est toujours debout, et son cocréateur Ed Boon aussi, on l’a même rencontré
Près de trois décennies. Voilà vingt-sept ans qu’Ed Boon bosse dans le jeu vidéo, ou plutôt sur un jeu vidéo. En effet, le créateur et développeur est quasi exclusivement occupé par un seul et même titre : Mortal Kombat. Née en 1992, dans la foulée et en réaction à Street Fighter, la franchise est devenue l’une des plus emblématiques du jeu de combat et l’une des plus rentables de l’industrie vidéoludique.
Après s’être fait un nom (MORTAL KOMBAT!) à coups de cœurs arrachés, têtes explosées et autres « Fatalités », le titre a connu une petite traversée des enfers, avant de renaître de ses cendres et d’être rebooté en 2011. A l’occasion de sa dernière itération, Mortal Kombat 11, disponible mardi prochain sur PS4, Xbox One, Switch et PC, 20 Minutes a interviewé le maître lors d’un combat, enfin « une rencontre amicale ». Fight !
J’ai lu que vous bossiez sur un jeu Jean-Claude Van Damme avant « Mortal Kombat » ?
Nous voulions à l’origine que Mortal Kombat soit un jeu Jean-Claude Van Damme. Mais littéralement : « JCVD – The Video Game » ! Universal Soldier, Kickboxer, Bloodsport, Double Impact… Ses films sortaient les uns après les autres, Van Damme était au top de sa carrière, il était très populaire. Nous voulions donc lancer une franchise de jeu vidéo sur son nom, mais il a refusé. Il nous a dit bosser sur la même idée avec une autre compagnie, mais aucun jeu n’est jamais sorti. Le personnage de Johnny cage est notre version de Jean-Claude Van Damme et en fait de n’importe quelle star hollywoodienne du cinéma d’action. Une version très exagérée bien sûr. (rires)
Il finira d’ailleurs par jouer dans l’adaptation cinéma de… « Street Fighter »
C’est vrai, c’est très drôle. Nous voulions Van Damme, nous avons eu Johnny cage, et le vrai est devenu Guile dans le film Street Fighter, mais aussi dans le jeu inspiré du film. Un jeu… étrange.
« Mortal Kombat » est-il une réponse, le négatif, de « Street Fighter » ?
Ce n’était pas tout à fait notre intention. Au studio Midway, nous étions spécialisés dans la numérisation, c’est-à-dire que nous utilisions des caméras pour filmer de vrais acteurs et ainsi obtenir les graphismes du jeu. Or, ce look numérisé était déjà éloigné de celui de Street Fighter, plus animé, plus coloré. Nous voulions surtout que Mortal Kombat soit un jeu de combat méchant, agressif, sale. Qu’il ait un feeling différent de la concurrence.
N’était-ce pas plus difficile de travailler avec des acteurs numérisés ?
Il a quand même fallu faire quelques retouches. Lorsque l’acteur ne pouvait pas lever sa jambe assez haute pour un « high kick », nous remontions sa jambe à l’ordinateur. (rires) Histoire d’embellir un peu le tout. Mais nous maîtrisions et utilisions cette technologie depuis plusieurs années déjà. A l’instar de mes précédentes réalisations, le jeu de football américain High Impact Football et sa suite Super High Impact, pour lequel j’avais d’ailleurs servi de modèle pour les joueurs.
Pourquoi un jeu si violent, si gore… et si drôle ?
Il faut rappeler que nous étions quatre mecs, la vingtaine, fans de films d’action, Terminator, Universal Solider… Tous ces films fous des années 1980-1990. Donnez une liberté totale à ces grands gamins et voilà ce que vous obtenez : Mortal Kombat !
D’où est venue l’idée des « Fatalités » ?
D’un aspect du gameplay de Street Fighter que j’adorais et abhorrais. Vous savez ce moment où le combattant est étourdi et l’autre peut lui faire ce qu’il veut. Quand tu es le joueur sonné, tu détestes ça, mais quand tu es l’attaquant, tu es aux anges. Nous avons décidé de décaler ce moment à la toute fin du combat. Il est étourdi, c’est ton moment, tu peux lui faire tout ce que tu veux, l’achever de la pire des façons. « Finish him ! »
Or, nous avions des images des personnages sans leurs têtes. Voilà. Sur un coup de tête [!], j’ai tenté une petite expérience, je voulais voir si Johnny Cage pouvait arracher la tête de son adversaire et lorsque nous avons regardé le résultat dans le jeu la réaction au sein du studio a été hallucinante : tout le monde a pété un plomb. Ce fut une révélation. Très vite, il a été décidé que tous les personnages devaient avoir la leur. Vous savez, dans ce métier, il y a des moments à part, durant lesquels toute l’équipe est au diapason, durant lesquels tu sais qu’il se passe quelque chose de spécial. Ce fut l’un de ses moments.
Cela fait plus de vingt-cinq ans et dix jeux de morts horribles, ça va ?
Je dois avouer que c’est de plus en plus difficile d’en trouver, jeu après jeu, d’autant plus que chacun des vingt-cinq personnages en a maintenant deux chacun. Cela fait donc 50 morts uniques et originales à trouver. Mais nous sommes une grosse équipe chez NetherRealm Studios [le studio héritier de Midway après son rachat par Warner en 2009] et chacun est libre et se lever en réunion pour proposer l’idée la plus tordue, la plus gore, la plus drôle. Différentes générations travaillent ensemble, certains ont joué adolescents aux premiers Mortal Kombat, ils ont grandi avec la saga, ils peuvent apporter du sang neuf.
Dans Mortal Kombat 11, j’aime beaucoup celle dévoilée avec le trailer de lancement, lorsque Scorpion coupe la tête avec son sabre, la shoote avec son pied puis la plante en gros plan. C’est presque de l’art. (rires) C’est également la première « Fatalité » que j’ai conçue et dessinée pour le jeu, on fonctionne toujours comme. Je dessine la première, cela donne le ton pour toutes les autres. L’équipe porte une certaine affection à celle où Johnny Cage joue au ventriloque avec le corps de son adversaire.
Notre réaction face aux « Fatalités » n’est pas l’horreur ou le dégoût mais bien souvent le rire.
C’est la chose la plus extraordinaire, la plus bizarre, avec Mortal Kombat. C’est horrible, c’est violent, c’est dingue mais la réaction est toujours la même : on se marre. C’est en fait tellement « over-the-top », tu ne peux pas le prendre au sérieux, tu dois en rire, même jaune. Cela fait plus de vingt-cinq ans que ça dure, c’est dans l’ADN de la série.
Après « Mortal Kombat 4 » à la fin des années 1990, la série est entrée dans une période creuse avec des titres moins emblématiques : « Deadly Alliance », « Mystification », « Armageddon »…
Tout est lié à la disparition progressive des salles d’arcade. C’est sur ces bornes d’arcade que sont nés les Mortal Kombat et d’autres jeux légendaires. D’un coup, vous n’aviez plus dix personnes qui faisaient la queue pour vous affronter contre une pièce. Il a fallu réorienter les jeux vers plus de jeu solo, plus d’histoires. Ce fut une période d’ajustement pour Mortal Kombat mais aussi pour les autres jeux de versus fighting. Soit ils ont disparu, soit ils sont devenus très techniques, trop compliqués selon moi.
Quelle est la grosse nouveauté de « Mortal Kombat 11 » ?
Le précédent épisode, Mortal Kombat X en 2015, introduisait les différentes versions ou variations d’un personnage. Elles se jouaient chacune un peu différemment et amenaient à se poser la question de savoir quelle version de Scorpion ou Sub-Zero était la meilleure pour affronter Kitana, par exemple. Mortal Kombat pousse cette idée encore plus loin et laisse le joueur customiser son personnage à l’extrême. L’autre nouveauté est que nous avons pour la première fois une femme comme antagoniste. Kronika est la mère de tous les « big bad boss ».
On doit souvent vous poser la question, mais à quand un crossover « Mortal Kombat » vs. « Street Fighter » ?
Nous avons déjà eu un crossover avec les super-héros DC et les guest stars de figures de la pop culture comme Freddy Krueger, Jason de Vendredi 13, Leatherface de Massacre à la tronçonneuse ou encore le Predator et l’Alien. Mais Mortal Kombat est violent et sombre, là où Street Fighter est enlevé et amical. Où mettre la jauge ? C’est un sacré défi mais je ne perds pas espoir. Un jour peut-être.