«Le temps qui passe me ferait peur si je le passais à voir des cons», s'amuse Zazie

MUSIQUE 20 Minutes a rencontré Zazie à l’occasion de la sortie de son nouvel album, « Essenciel », ce vendredi. La chanteuse a parlé de son rapport au temps, aux réseaux sociaux, à « The Voice »…

La chanteuse Zazie.
La chanteuse Zazie. — Hashtag NP
  • « Essenciel », le dixième album studio de Zazie sort ce vendredi.
  • L’artiste déplore que l’époque actuelle « manque de poésie ».
  • Zazie explique que « The Voice » l’a réconciliée avec les interprètes et avec la télévision.

Il y a vingt-trois ans, elle chantait Zen. Aujourd’hui, elle entonne Speed, le premier extrait de son nouvel album, Essenciel, qui sort ce vendredi. Zazie change de rythme et de rythmiques, mais conserve son sens des jeux de mots et des vibrations positives. Qu’elle décrive une chienne de vie dans Va chercher, nous harponne avec Nos âmes sont, nous colle au pied du murmure avec Garde la pose, elle livre un ensemble de douze titres parfaitement cohérents capables aussi bien d’accrocher que de caresser l’oreille au gré de ses expérimentations musicales. 20 Minutes a rencontré une chanteuse qui aime prendre son temps et déteste le perdre.

Plusieurs chansons de l’album invitent à prendre du recul, à se libérer de différentes formes d’oppression (la déprime, la charge mentale, le narcissisme des réseaux sociaux…). C’est comme une réactualisation de votre tube Zen - « Du sang froid dans les veines, soyons zen » - à une époque plus grave ?

Plus c’est grave et plus il faut être léger. Cela ne veut pas dire ne pas être profond, cela ne veut pas dire se foutre de tout, mais je pense qu’on peut se désencombrer. Dans ce qui nous est proposé à la télévision, ou dans le monde, il y a un culte de l’anxiogène et de l’immédiateté, avec le virtuel, avec Internet, etc. Cela n’aide pas beaucoup l’humanité à être curieuse, cela n’aide pas quelqu’un à être curieux de l’autre mais plutôt à en avoir peur. Alors qu’on peut aussi éteindre la télé de temps en temps.

L’époque manque de légèreté ?

Elle manque de célébrer aussi la beauté des choses. Elle manque de poésie. On nous a dit pendant des années qu’il fallait avoir des carrières verticales, des choses vertigineuses, mais quand on est en haut, qu’est-ce qu’on fait ? On descend. On nous a dit qu’il fallait se coucher à telle heure et se lever à telle autre. Pourquoi, si ça ne fait pas de mal aux autres, ne pas faire autrement ? Ce n’est pas se marginaliser. C’est regarder comment on est. Passé 50 ans [Zazie a 54 ans], on se connaît un peu, on sait ce qu’on peut bouger et ce qui ne bougera pas.

Le temps qui passe, ça vous fait peur ?

Il me ferait peur si je ne l’occupais pas à des choses qui sont essentielles pour moi maintenant. Il me ferait peur s’il était du temps perdu. Il me ferait peur si je le passais à faire des réunions interminables pour rien, à voir des cons et à m’ennuyer profondément au sens littéral du terme c’est-à-dire que la personne que je suis, m’ennuie. Il me fait peur quand j’ai l’impression que c’est vertigineux ou que je m’éloigne de moi, de la nature de ce que je suis.

Vous parlez des choses qui vous sont essentielles. On en vient au titre de l’album, Essenciel

Il est venu au dernier moment. Généralement, j’ai toujours un titre qui peut être un peu carte de visite pour un album. Là, non. J’avais depuis plusieurs mois cette image [le visuel de l’album] parce qu’on avait fait une séance photo avec le photographe Laurent Serroussi pour tout à fait autre chose. On est tombés chez un de mes potes dans le Sud, qui avait trouvé un tableau dans une brocante. Je faisais mon stylisme, on était en mode vadrouille et j’en avais marre de changer de fringues toutes les cinq photos. Alors, je me suis dit : « Ok, plus de fringues ». On a fait la photo comme ça, qui disait le cru de la nudité sans la pornographie. J’ai écrit la chanson L’essenciel en juin, alors que j’étais déjà en promo pour Speed. Je me suis dit : « « Essenciel, revenir à l’essentiel… ». Ok, c’est très bien, ça colle à l’album. Ne garder que « Essenciel » pour la pochette, ça marche.

Vous avez dévoilé fin août, Waterloo, un titre qui, d’après le dossier de presse, « évoque en filigrane » le 13-Novembre…

Nous, les Parisiens, comme la majorité des Français, on a eu un truc qui nous est arrivé dans la figure. Mais Waterloo ne m’a pas été inspirée par ça. C’est pour ça que je ne l’ai pas appelée Bataclan. Disons que cela réveille des traumatismes. A Waterloo, Napoléon a emmené délibérément je ne sais combien de personnes au casse-pipe par ego, pour des raisons stupides. C’est donc un rappel de la violence de l’humain, de son côté barbare. On l’a tous, cette violence, moi aussi, je l’ai. Qu’est-ce qu’on en fait ? Il n’y a pas de solution à part cette petite chose ébauchée, consistant à se demander si on va continuer à aller dans le mur ou si on va essayer de faire quelque chose d’autre de cette violence. « T’auras ma peau » [une phrase qui figure dans les paroles] peut être comprise du côté guerroyant, cow-boy de la chose. Mais ça peut aussi être lu au sens de « ma peau contre la tienne », de l’amour.

Dans Ma Story, vous moquez les réseaux sociaux. Vous les avez en horreur ?

J’avoue que je m’en méfie beaucoup. Je me méfie de la virtualité du monde. Je trouve que c’est dangereux parce que ça nous éloigne du vrai contact, du vrai partage. Il y a des choses très bien sur le Net : la facilité de pouvoir commander un truc sans se déplacer, de parler à un copain à l’autre bout du monde, de pouvoir débattre, de pouvoir informer le public de ce qu’on fait et comme on veut, sans passer par un autre média. Mais je m’en méfie parce que je trouve qu’il y a quelque chose de pornographique à vouloir combler tous les besoins en cinq secondes et dix doigts. Ce n’est pas normal. De temps en temps, c’est bien de s’ennuyer plutôt que de se divertir – au sens de « diversion » par rapport à ce à quoi on devrait réfléchir.

Twitter, c’est donc à petite dose pour vous ?

Twitter, je n’y vais pas. D’ailleurs, mon entourage peut vous le dire, mon portable est sur silencieux en permanence.

En tant que coach dans The Voice vous avez fait profiter de votre expérience à de jeunes talents. Est-ce que cette aventure vous a apporté quelque chose, a modifié votre approche de la musique ?

Cela ne l’a pas changée, mais il y a eu réciprocité. On essaie de transmettre des choses à ces jeunes. Et en échange, cela a réhabilité les interprètes, des gens qui chantent hyper bien et qui ne sont pas forcément intéressés par l’écriture ou la composition. The Voice m’a aussi réconciliée avec la télévision. C’est un programme élégant, où les gens sont bien traités, ils sont suivis psychologiquement pour ne pas péter des câbles et ne pas subir les retombées nucléaires de l’après-célébrité immédiate. Je vois plein de gens qui me parlent de cette émission, dont des intellectuels qui l’avouent un peu honteusement, et me disent que chanter le samedi soir, c’est mieux que se mettre sur la gueule.