Pourquoi « Adieu les cons » et « Poly » ne suffiront pas à sauver le cinéma en salles

FREQUENTATION Les succès en salle d'« Adieu les cons » et de « Poly » ont marqué la semaine écoulée mais les professionnels du cinéma s’inquiètent pour l’avenir

Caroline Vié
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Virginie Efira dans « Adieu les cons » d'Albert Dupontel
Virginie Efira dans « Adieu les cons » d'Albert Dupontel — Jérôme Prébois/Gaumont
  • Malgré de belles entrées la semaine dernière, les professionnels du cinéma sont inquiets.
  • Tous attendent avec anxiété les prochaines restrictions sanitaires du gouvernement.

Déjà 475.000 entrées pour Adieu les cons d' Albert Dupontel, 334.000 pour Poly de Nicolas Vanier et 890.000 entrées en deux semaines pour 30 jours max de Tarek Boudali. En attendant le formidable ADN de Maïwenn cette semaine... « Il y a un vrai sursaut dans la fréquentation, estime Nicolas Colle, journaliste de la revue professionnelle  Ecran Total. Et la diversité n’a jamais été aussi présente dans les salles depuis le début de la pandémie. » Ces propos prudemment optimistes n’empêchent pas la profession de s’inquiéter pour l’avenir.



Des pertes du côté du public

« On a perdu beaucoup de jeunes et de fans de cinéma de genre qui ont découvert les plateformes pendant le confinement, soupire un programmateur de films sous couvert d’anonymat. Je ne suis pas certains qu’ils reviennent en salle avant qu’on puisse leur proposer un blockbuster américain alors que ces derniers partent désormais sur les plateformes. » L’échec récent de Peninsula de Song Ho-Yeon semble confirmer ses dires.

« Seuls les films pour enfants ont vraiment attiré du monde », constate-t-il. Le fait que les personnages étaient déjà connus a sans doute aidé Les Trolls, Poly ou Petit vampire qui mordent tous le box-office à belles dents. « Adieu les cons est une exception. Les gens ont été touchés par cette histoire en phase avec la société et il n’a pas trop souffert d’avoir été privé de séances le soir », explique le programmateur. Cela n’était pas gagné d’avance tant le film d’Albert Dupontel est rentre-dedans avec son humour aussi féroce que potentiellement clivant.

Des pertes pour la diversité

Du côté des films d’auteur, l’enthousiasme est modéré. « Les exigences de Gaumont pour la sortie d’Adieu les cons qui demandait de nombreuses salles supplémentaires pour maintenir sa sorte et celle de Miss de Ruben Alves avancée d’une semaine par Warner, nous ont fait perdre des écrans », explique Stéphane Auclaire d’ UFO Distribution. Pour autant, le film qu’il distribue, Michel-Ange d’Andreï Konchalovsky a de bons résultats. « Il ne faudrait cependant pas que cette pratique de changer la sortie des films en dernière minute devienne courante, martèle-t-il. Car, bien que je comprenne le point de vue des exploitants, les petits sont toujours ceux qui pâtissent des décisions des gros. Il y a certes une appétence pour le cinéma mais c’est souvent au détriment de la diversité. » Ce n’est pas Amel Lacombe Eurozoom qui dira le contraire : son Lupin III de Takashi Yamazaki a été soudainement balayé de très nombreux écrans au cœur des vacances scolaires au profit de films considérés comme plus porteurs.

Daniel Chabannes d’Epicentre Films qui sort cette semaine Une vie secrète, un très beau film sur la guerre d’Espagne, résume la situation : « C’est un combat permanent pour pouvoir montrer nos films, raconte-t-il à 20 Minutes. On me dit souvent que je propose des œuvres excellentes, mais qu’il n’y a pas de place pour elles dans les salles. » Il se déclare malgré tout satisfait d’être parvenu à disposer de plus de cent écrans pour ce long-métrage historique. « On nous traite souvent avec la condescendance réservée aux cousins de province, ceux qu’on aime bien mais qui prennent de la place. On nous tapote la main en disant "pas mal" si on fait des entrées », déclare un autre distributeur qui, lui, a préféré rester anonyme.

Des pertes pour les salles

Les exploitants, quant à eux, ne savent plus trop sur quel pied danser. « Les mécanismes d’aide de l’Etat nous ont été salutaires, reconnaît Gérard Lemoine du Cinépal. Et c’était un bonheur de voir le public revenir en salle pas seulement pour l’aspect financier des choses mais aussi pour le moral. » Il se montre pourtant réservé pour la suite. « Les gens avaient perdu l’habitude d’aller au cinéma et maintenant qu’ils commencent à la retrouver, il est question de reconfinement. Dès qu’on sort la tête de l’eau, on a l’impression qu’on nous appuie de nouveau sur le crâne. »

Tout le monde attend maintenant de savoir à quelle sauce il va être accommodé lors des prochaines annonces du gouvernement. Des films comme Adieu les cons ou Poly risquent de ne pas suffire à sauver le cinéma dans les salles.