« On parviendra toujours à "pécho", même avec un masque ! », affirme la réalisatrice Adeline Picault

« 20 MINUTES » AVEC... C'est de saison (estivale): les rapports amoureux des ados, mais aussi ceux des adultes, sont passés au crible d'Adeline Picault, scénariste et réalisatrice de la comédie « T’as pécho ? », en salle depuis mercredi

Propos recueillis par Caroline Vié
— 
Adeline Picault dirige Vincent Macaigne dans son film «T'as pécho ?»
Adeline Picault dirige Vincent Macaigne dans son film «T'as pécho ?» — Pathé
  • Tous les vendredis, 20 Minutes propose à une personnalité de commenter un phénomène de société dans son rendez-vous « 20 Minutes avec… ».
  • Adeline Picault, réalisatrice et scénariste de « T’as pécho ? », évoque la sexualité et les relations entre ados.
  • Pour elle, la nécessité de porter un masque n'est pas forcément un frein à la séduction.

La comédie T'as pécho ? vaut mieux que son titre ! Plus proche des Beaux gosses (2009) de Riad Sattouf que de la saga yankee American Pie, cette fantaisie tendre n’est pas une pochade. A 37 ans, Adeline Picault signe la réalisation de son premier film, dans lequel elle explore avec humour et justesse les relations amoureuses d’une bande d’ados.



Venue du théâtre et de l’écriture de romans, de scénarios et de séries, la jeune femme a peaufiné son histoire pour donner vie à quatre garçons qui se font donner des cours de séduction – payants !- par une camarade soi-disant plus délurée qu’eux. Des adultes incarnés par Ramzy Bedia, Vincent Macaigne ou Sophie-Marie Larrouy sont tout aussi épatants que les jeunes comédiens qu’elle a dénichés. Inès d’Assomption et Paul Kircher (qui pourrait être le nouveau Vincent Lacoste) sont des découvertes remarquables. A peine sortie du confinement, c’est malgré tout par téléphone qu’Adeline Picault a parlé d’amour à 20 Minutes.

Qui a eu l’idée du titre un peu trivial, « T’as pécho ? » ?

C’est moi, dès que j’ai commencé à écrire le scénario. Cette expression me fascine. Elle semble crue et, pourtant, en creusant un peu, on découvre que les adolescents qui l’emploient ne sont pas si délurés que cela. Leur rapport à l’amour, comme au sexe, n’est pas aussi libre qu’on pourrait l’imaginer. Le romantisme n’a pas disparu… J’ai eu envie de montrer cela et de comprendre ce qui se cache derrière cette question. Je suis consciente que cela peut être pris de travers, mais je tiens à préciser que mon film n’est pas uniquement fait pour les jeunes. J’estime que bien des adultes peuvent s’y retrouver, soit parce qu’ils sont parents d’ados ou parce que les situations leur rappelleront des choses de leur passé.

Ce titre est à l’image d’un film qu’on pourrait croire vulgaire, mais qui se révèle tendre ?

C’est effectivement ce que j’ai voulu faire. Montrer que les rapports entre les êtres ne se sont pas simplifié avec le temps. Même si les ados cherchent souvent à projeter une image de liberté et d’indifférence qui leur semble cool, ils se cherchent parfois douloureusement. C’est notamment le cas de mon héroïne qui fait semblant de tout savoir sur le sexe alors qu’elle n’a guère plus d’expérience que ceux à qui elle donne des cours de séduction.

Vous croyez qu’on peut apprendre à séduire ?

Carrément pas ! Et c’est ce que montre le fillm. Il n’existe pas de mode d’emploi pour « pécho » que ce soit pour les filles ou pour les garçons et c’est encore heureux. L’amour doit rester quelque chose de spontané et de naturel. Nous ne sommes pas des machines !

Les relations ont-elles changé entre les ados d’aujourd’hui et ceux que vous avez connus au collège et au lycée ?

Pas tant que cela en fait… J’ai l’impression que les questions et les angoisses sont toujours globalement les mêmes. Bien sûr, les réseaux sociaux n’existaient pas quand j’étais adolescente. J’ai choisi de ne pas traiter ce sujet, car je ne voulais pas me contenter de l’effleurer: cela aurait pu faire l’objet d’un long-métrage complet. Pour le reste, l’angoisse amoureuse, la séduction et la maladresse, je n’ai pas trouvé grande différence entre ce que me racontaient mes jeunes acteurs et mes souvenirs de jeune fille.

Avez-vous fait la sortie des collèges et des lycées pour recueillir des expressions ou des bons mots ?

Pas du tout car je n’ai pas cherché à faire un documentaire. Pour les dialogues, je me suis amusée à broder sur ce que j’imaginais. Ma démarche était plus littéraire que naturaliste. Au moment des répétitions, ce sont les jeunes acteurs qui me disaient si j’étais juste ou si les répliques ne leur semblaient pas réalistes. Au début, ils me proposaient leur propre version des dialogues, mais c’était très rarement réussi. Ils ont essayé d’improviser mais on a très vite laissé tomber car tous n’avaient pas la même expérience du jeu d’acteur, ni les mêmes dons pour inventer des dialogues. En fait, le film est très écrit.

Qu’est ce qui vous a le plus supris dans le comportement de ces ados ?

De voir à quel point ils sont sensibles au regard des autres. Cela m’a frappée dès le casting : plusieurs jeunes comédiens étaient embarrassés à l’idée de jouer le rôle du garçon homosexuel. Certains disaient qu’ils devaient en référer aux « grands frères » de leur quartier avant de pouvoir l’accepter. J’avais beau leur dire qu’il n’y aurait pas de scènes d’amour entre garçons, ni même de geste de tendresse, incarner un gay les angoissait car ils craignaient les moqueries de leur entourage. Ces comédiens-là n’ont finalement pas tourné le film mais je me demande comment ils envisagent le métier d’acteur s’ils sont aussi peu ouverts.

Ceux que vous avez choisis se sont-ils révélés à leur aise au moment des scènes intimes ?

Non, ils étaient inquiets, bien que je les aie rassurés en leur disant que tout resterait très pudique. Mais au moins, leur gêne rend ces séquences plus crédibles. Pendant la scène de sexe, Inès d’Assomption insistait pour regarder au combo après chaque prise afin d’être sûre que je ne filmais rien qui l’aurait choquée ou compromise devant ses proches. Les garçons avaient un rapport étonnant à leur corps. Il leur arrivait de me montrer leurs fesses, ce qu’ils trouvaient hilarant. Mais il a été très compliqué de leur faire enlever leur slip pour la séquence où ils sont en maillots de bain. Je leur disais que ça faisait moche de voir leurs sous-vêtements sous leur maillot mais l’un d’eux a catégoriquement refusé de retirer son slip qu’on peut nettement distinguer pendant la prise. La pudeur est une chose très étrange.

Avez-vous choisi Ramzy Bedia et Vincent Macaigne parce qu’ils représentent deux types de virilité adulte ?

Je voulais des acteurs aux parcours différents. Razmy vient du stand-up et est un modèle pour les gamins. La formation de Vincent est plus classique. Tous deux montrent avec leurs personnages que l’âge adulte ne résout pas tous les problèmes d’amour et de séduction. Loin de là ! C’est une idée que les adolescents ont dans la tête que de croire que leurs parents ont mis tous leurs soucis derrière eux et qu’ils possèdent toutes les réponses, alors que ce n’est évidemment pas le cas. Les adultes du film expriment une fragilité qui me semble proche des hommes d’aujourd’hui et qui leur donne infiniment de charme. Les gros machos sont dépassés. Ils n’ont plus la cote, pas plus auprès des adultes que des ados.

Pensez-vous que dans le milieu du cinéma aussi, les gros machos sont passés de mode ?

Je crois que les choses évoluent dans le bon sens ! Même s’il faut asseoir son autorité sur un plateau, où les techniciens sont souvent des hommes, je n’ai jamais eu l’impression que ma carrière était freinée parce que j’étais une femme. Avec les adolescents aussi, il a fallu que je me fasse respecter, mais cela n’a rien à voir avec le fait que je sois une femme. Ils avaient juste besoin d’être cadrés, comme tous les gamins des 16 ans, afin d’établir une relation de travail qui puisse se développer au fil des répétitions. Après, je suis ravie que de plus en plus de réalisatrices prennent la parole. Je trouve cela épatant bien que je ne sois pas sûre qu’il existe un regard féminin. Le regard doit être celui de l’artiste quel que soit son genre. Le talent n’est pas une question de genre. Des femmes parlent parfois mieux des hommes que certains cinéastes. Et l’inverse peut aussi être vrai.

Auriez-vous été frustrée si le confinement avait empêché à votre film sortir en salle ?

Cela m’aurait fait mal au cœur car T’as pécho ? a vraiment été conçu pour être regardé au cinéma. Je peine à imaginer le public le découvrir uniquement chez lui sans avoir les réactions des autres spectateurs. La salle de cinéma est un lieu magique, irremplaçable, ce qui ne m’empêche pas de préparer des projets de séries pour diverses plates-formes. Ce sont des types de plaisirs différents et complémentaires. Il y a de la place pour tout le monde, car cela ouvre de nouveaux espaces de création.

Peut-on encore « pécho » aujourd’hui ?

On parviendra toujours à « pécho » même avec un masque ! Je reconnais que ça ne facilite pas les choses. C’est très étrange de rencontrer des gens qui portent un masque et de communiquer avec eux. J’en ai fait l’expérience pendant la promotion du film où tout le monde était évidemment masqué ! On se rend compte qu’on est habitués à voir toutes les expressions des visages et il est très déroutant de n’appréhender les sentiments que par les yeux et la voix. C’est d’autant plus surprenant quand il s’agit de gens qu’on rencontre pour la première fois. Cela dit, quand on est prêt à « pécho », c’est qu’on est assez proche de la personne pour que le masque ne soit plus un souci.