Après « Autant en emporte le vent », les plateformes multiplient les avertissements avant les « films problématiques »

CONTEXTE Après Disney+ et HBO Max, la chaîne payante britannique Sky Cinema s'y est mis aussi

V. J.
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Carton ouvrant «La Classe américaine»
Carton ouvrant «La Classe américaine» — Warner Bros - Canal +

Autant en emporte le vent censuré ? Après sa disparition de la plateforme américaine HBO Max, beaucoup ont crié à la censure d’un classique du septième Art, alors qu’il s’agissait d’un retrait temporaire, le temps d'ajouter une remise en contexte, une présentation historique. L’actualité, avec la  mort de George Floyd et le mouvement Black Lives Matter, a joué comme une caisse de résonance, et si le débat était parfois inaudible, surtout sur les réseaux sociaux, la question de la contextualisation des œuvres en général, et des films en particulier, était posée.

Clark Gable et Vivien Leigh dans Autant en Emporte le Vent
Clark Gable et Vivien Leigh dans Autant en Emporte le Vent - Collection supplied by Capital Pictures/Starface

« Forrest Gump » et « Indiana Jones », des films « problématiques » ?

Un récent article de Variety a rajouté de l’huile sur le feu, en listant des « films problématiques » qui mériteraient, comme Autant en emporte le vent, un « avertissement ». Le journaliste rappelle le cas de films au caractère raciste comme Naissance d’une nation ou Mélodie du Sud, mais aussi Diamants sur Canapé avec Mickey Rooney en cliché de Japonais ou West Side Story et sa représentation des Portoricains – forcément des délinquants.

Puis il enchaîne avec Forrest Gump et « sa condescendance envers les personnes handicapées, les vétérans du Vietman, les malades du Sida », et même « son hostilité aux manifestants, aux militants et à la contre-culture ». Ou encore L’Inspecteur Harry et son flic au-dessus des lois, Indiana Jones et « ses méchants exotiques dépeints comme des étrangers primitifs et sanguinaires », etc.

Pour Variety, il ne s’agit bien sûr pas d’interdire ces films, mais de les voir avec un œil critique : « Ces films représentent l’époque à laquelle ils ont été réalisés, et il est important de se souvenir de l’histoire – et de l’intolérance et de l’insensibilité – afin de ne pas répéter ces choses ». Pour certains, c’est déjà trop, et le magazine américain est accusé de vouloir faire le buzz, du politiquement correct, ou d’être à côté de la plaque.

Des avertissements sur Disney+, HBO Max, Sky Cinema

Pourtant, les avertissements ou contextualisations existent, surtout aux Etats-Unis. Dès son lancement en novembre, Disney+ ajoutait une mention sur la fiche de certains films : « Ce programme est présenté dans sa forme originelle, et peut contenir certaines représentations culturelles obsolètes ». Sont concernés La Belle et le Clochard, Dumbo ou Fantasia.

La chaîne payante britannique Sky Cinema vient de mettre en place la même politique, avec un avertissement pour « attitudes, langage et représentations culturelles obsolètes, qui peuvent offenser aujourd’hui » sur une quinzaine de films : Autant en emporte le vent, toujours lui, Aladdin, les deux versions du Livre de la jungle, Tropic Thunder, Les Goonies, Flash Gordon… Mais aussi Aliens. Aliens, le chef d’oeuvre de James Cameron, parce que le personnage de Vasquez, une Marine latino, est interprété par l’actrice blanche Jenette Goldstein, qui a dû se teindre les cheveux, porter des lentilles et se maquiller la peau pour le rôle.

« Sky s’engage à soutenir la lutte contre le racisme et à améliorer la diversité et l’inclusion sur et hors écran, a commenté un porte-parole de la chaîne à Variety. Nous examinons constamment tout le contenu des chaînes appartenant à Sky et prendrons des mesures si nécessaire, notamment en ajoutant des informations à nos clients pour leur permettre de prendre une décision éclairée lorsqu’ils décident quels films et émissions de télévision regarder. »


« Il ne faut pas censurer, il faut prévenir »

Le débat actuel ferait presque oublier que ce genre d’avertissement existe depuis longtemps. En 1980, William Friedkin prévenait en ouverture de Cruising que « les individus et leurs pratiques montrés dans le film [des gays très cuirs et adeptes du sadomasochisme] ne sont pas représentatifs de la communauté homosexuelle dans son ensemble », rappelle Libération. Pas d’avertissement en revanche avant La cage aux folles, qui est mal reçu par la communauté gay française.

Si ce travail de contextualisation est pour l’instant moins répandu en France, il existe, comme le souligne un internaute au sujet de Quai des brumes : « Sorti presque en même temps qu’Autant en emporte le vent, il y a 82 ans, Le Quai Des Brumes est précédé d’une contextualisation bienvenue ». A l'occasion de sa restauration et de sa ressortie  en salle et en DVD/Blu-ray en 2012.


Dans une récente interview pour Konbini, Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes, revient sur la « polémique » Autant en emporte le vent et reprend à son compte les paroles du basketteur américain Kareem Abdul-Jabbar : « Il ne faut pas censurer Autant en emporte le vent, par contre, il faut prévenir. Nous prévenons que ce film doit être pris avec précaution pour telle ou telle raison. On peut faire ce travail critique. C’est ça l’histoire, les historiens, la cinéphilie ». Avant d’évoquer les interrogations qui entourent la publication des écrits antisémites de Céline ou Mein Kampf. La contextualisation est une pratique ancienne et courante en littérature avec les préfaces et postfaces. D’ailleurs, Autant en emporte le vent, le roman original de Margaret Mitchell cette fois, est ressorti dans une nouvelle traduction chez Gallimard.


Enfin, il est bon de rappeler que tous les films « problématiques » évoqués sont bien disponibles et visibles, même si aucun n’aura meilleur carton d’avertissement que La Classe américaine : « Attention, ceci n’est pas un flim sur le cyclimse. Merci de votre compréhension ».