Aïssa Maïga, l'actrice de combats qui réclame plus d'inclusion dans le cinéma français
DIVERSITE Vendredi, lors de la cérémonie des César, Aïssa Maïga a plaidé pour une plus grande représentation des minorités dans le cinéma français. Sa prise de parole fut autant décriée que saluée
« On est une famille, on se dit tout non ? » C’est comme ça qu’Aïssa Maïga, venue remettre le César du meilleur espoir féminin vendredi a commencé sa tirade, longue de cinq minutes, appelant à plus de diversité dans le cinéma.
Malaise dans l’assistance. La caméra qui parcourait le public de la salle Pleyel s’est éternisée sur des visages gênés, décontenancés ou, au mieux, impassibles. Malgré les vannes qui parsemaient le discours, rares étaient les rires, inexistants ont été les applaudissements. La diatribe d’Aïssa Maïga s’est heurtée à une vague d’hostilité.
Dans une cérémonie généralement consensuelle et tournée vers l’autocélébration, elle est celle qui a osé. Au lieu de caresser le show-biz dans le sens du poil, elle n’a pas laissé « le cinéma français tranquille », selon sa propre formule, et l’a invité à l’autocritique.
« On a survécu au whitewashing, au blackface, aux tonnes de rôles de dealers, de femmes de ménages à l’accent bwana. On a survécu aux rôles de terroristes, à tous les rôles de filles hypersexualisées… », a-t-elle énuméré dans son discours qui s’est progressivement mué en un réquisitoire plus frontal, opposant, d’un côté, ceux qui « ne sont pas impactés par les questions liées à l’invisibilité, aux stéréotypes ou à la question de la couleur de la peau » et de l’autre « les bons Noirs, asiatiques, l’arabe… qui vous laissent tranquilles ».
« Pensez inclusion »
Deux jours avant la cérémonie des César, Aïssa Maïga signait une tribune déplorant l’« invisibilité des acteurs, réalisateurs et producteurs » issus des outre-mer et de l’immigration africaine et asiatique dans le cinéma français. Le texte de #BlackCesars a été signé par plusieurs dizaines de personnalités dont Firmine Richard, Edouard Montout, Sonia Rolland, Mathieu Kassovitz, Stomy Bugsy ou Olivier Marchal.
C’est le message de cette tribune que la comédienne a défendu sur la scène des César. « Quand vous êtes dans les instances de décision, dans les lieux où on décide où vont les financements, pensez inclusion, a-t-elle exhorté. Vraiment, ça passera par vous aussi, parce que nous, on n’est pas assez nombreux et on n’a pas toutes les clés. »
Des réactions contrastées
Si elle a conclu sur un ton optimiste - « Je n’ai aucun doute qu’on va y arriver tous ensemble » –, l’accueil glacial du public incitait plutôt au pessimisme. Le lendemain, la députée européenne Nadine Morano ira même jusqu'à tweeter : « Si vous n’êtes pas contente de voir autant de Blancs en France, mais repartez en Afrique ! Y a-t-il 50 % de Blancs dans les films africains ? »
Quoi qu’il en soit, Aïssa Maïga aura marqué la soirée par son intervention que les réseaux sociaux ont autant critiquée qu’applaudie, à l'instar d'Adèle Haenel. D’ailleurs, lorsque cette dernière a quitté la salle après que le César de la meilleure réalisation a été décerné à Roman Polanski, Aïssa Marga l’a suivie. « J’ai été clouée sur place, effrayée, dégoûtée à titre vraiment personnel, dans mes tripes, a-t-elle confié par la suite à Mediapart. J’ai pensé à toutes ces femmes qui voient cet homme plébiscité, et à toutes les autres victimes de violences sexuelles. »
Au côté des manifestantes anti-Polanski
Une fois hors de la salle Pleyel, Aïssa Maïga a rejoint les manifestantes féministes qui s’étaient rassemblées devant, comme l’a montré un reportage de Quotidien diffusé lundi. « Ma place vraiment, et ce n’est pas de la posture, est ici plutôt que sur le tapis rouge », a-t-elle déclaré au micro de l’émission de TMC, avant de prendre dans ses bras une militante brandissant une affiche « Violanski, violeur impuni ».
Le grand public, qui jusqu’ici connaissait Aïssa Maïga sous un angle plutôt consensuel via ses rôles dans des comédies (L’Auberge espagnole, Les Poupées russes, Sur la piste du Marsupilami…), l’a découverte sous un jour plus engagé. « Mais je l’ouvre depuis longtemps ! Je n’ai fait que ça quand je suis arrivée dans le métier, j’étais tellement atterrée par ce que je découvrais », affirmait-elle pourtant à L'Obs en janvier.
Une féministe convaincue
Elle n’a assurément pas attendu février 2020 pour affirmer ses prises de position. La comédienne française, née au Sénégal il y a 44 ans, a lancé il y a deux ans l’écriture de l’essai collectif Noire n’est pas mon métier dans lequel seize comédiennes françaises noires et métisses expriment le racisme et le sexisme dont elles sont victimes dans le cinéma français. Les problématiques touchant aux minorités ethniques ne sont pas les seules qui la préoccupent. Aïssa Maïga est une féministe convaincue : elle préside le collectif « 50/50 » qui réclame une plus grande égalité entre hommes et femmes dans le milieu du cinéma.
Fin janvier, Aïssa Maïga jouait une réfugiée nigériane dans Escale Fatale, une série dramatique irlandaise diffusée sur Arte. En février, elle était au casting d’ Il a déjà tes yeux . Dans cette série de France 2 en six épisodes inspirés du film époyme, elle formait, avec Lucien Jean-Baptiste, un couple noir qui adopte Benjamin, un enfant blanc. Une autre histoire de famille. Et d’inclusion.