VIDEO. Pourquoi Spike Lee a-t-il dû attendre si longtemps pour avoir un Oscar?

RECOMPENSE L'un des moments forts des Oscars 2019, et une attente de trente ans enfin récompensée

V. J. avec AFP
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Spike Lee décroche son premier Oscar pour le scénario adapté de «BlacKkKlansman»
Spike Lee décroche son premier Oscar pour le scénario adapté de «BlacKkKlansman» — Theresa Shirriff/SIPA

Cela restera l’une des images de ces Oscars 219 : Spike Lee sautant de joie dans les bras de Samuel L. Jackson pour sa toute première statuette ! Après trente ans de carrière, presque autant de films, et cinq nominations, le cinéaste engagé décroche son premier Oscar, dans la catégorie du meilleur scénario adapté, pour BlacKkKlansman, également nommé pour le meilleur réalisateur et le meilleur film. Pour se rendre compte de l’événement, il faut savoir que Spike Lee a reçu un Oscar d’honneur en 2016, avant donc son premier Oscar à proprement parler. Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps ?

Spike Lee en colère

En 1989 déjà, son film Do the Right Thing, succès critique et public, est nommé deux fois aux Oscars, après un passage par le festival de Cannes. Il repart bredouille lors d’une cérémonie symbolique, ou plutôt symptomatique, avec le sacre du film Miss Daisy et son chauffeur, l’histoire d’une vieille dame et son chauffeur noir dans l’Amérique des années 1940. Tiens, tiens, comme un écho, inversé, à Green Book, auréolé de l'Oscar du meilleur film cette année. Cette victoire a d’ailleurs mis Spike Lee très en colère, il a voulu quitter la salle, avant d’être obligé de regagner sa place. Mais il a tourné le dos à la scène jusqu’à la fin des remerciements de l’équipe du film.

Interrogé en conférence de presse, Spike Lee a tourné autour du pot, joué l’ironie sportive : « J’avais l’impression d’être au Madison Square Garden et que les arbitres avaient pris la mauvaise décision ». Avant d’ajouter : « A chaque fois que quelqu’un conduit quelqu’un d’autre, je perds ». En fait, Spike Lee n’est pas le seul à ne pas aimer Green Book, l’histoire vraie d’amitié entre le pianiste noir Don Shirley et son chauffeur blanc et raciste. « Une symphonie de mensonges » selon la famille du musicien, et toujours le même cliché du « sauveur blanc ».

« Il a brisé le plafond de verre pour les Noirs au cinéma »

Avec Nola Darling n’en fait qu’à sa tête, son premier long-métrage qu’il écrit, produit, monte et réalise lui-même à l’été 1985, Spike Lee « brise le plafond de verre pour les Noirs dans le cinéma et ouvert les portes pour tous ceux qui sont passés après lui, affirme Michael Genet, acteur et scénariste, auteur de She Hate Me. Le réalisateur noir Ryan Coogler ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui avec  Black Panther si Spike Lee n’avait pas fait ce qu’il a fait. »

Petit homme malingre, à lunettes, au regard résolu, Spike Lee était « réservé, mais je l’appelais l’homme idée, se rappelle Herbert Eichelberger, son professeur de cinéma à l’université Clark à Atlanta. Il proposait des tas d’idées de films et sur la manière d’aborder une histoire ». « Dès le début, c’était un grand conteur », ajoute l’enseignant, qui le pensait prédestiné au documentaire. Spike Lee n’y viendra qu’en 1997 avec 4 Little Girls, nommé aux Oscars, et suivi par d’autres.

Des Oscars « so white »

Mais le réalisateur s’affirme dans un cinéma politique et militant, avec Do the Right Thing bien sûr, mais aussi Jungle Fever ou Malcolm X, produits à l’écart d’Hollywood pour rester maître de la distribution ou encore du montage. En parallèle, il développe une image de cinéaste et personnage grand public, qu’il s’agisse de sa passion pour l’équipe de basket des New York Knicks, ses publicités cultes pour Nike dans les années 80, ou encore des films plus classiques, mais pas non plus des blockbusters, avec le thriller Inside Man en 2006, son plus grand succès au box-office à ce jour.

Même pour La 25e Heure, son film le plus « white » et l’un des meilleurs films des années 2000 pour la critique américaine, Spike Lee est boudé par les institutions. C’est pourquoi il demeure farouchement accroché à son indépendance, et signera par exemple ces dernières années un téléfilm (Suker Free City), la première production Amazon Studios (Chi-Raq), un film d’horreur (Da Sweet Blood of Jesus) ou une adaptation de Nola Darling en série pour Netflix. Avec toujours avec la communauté afro-américaine et les tensions raciales en toile de fond. BlacKkKlansman évoque ainsi l’histoire vraie d’un Noir infiltré dans les rangs du Ku Klux Klan, et lui a valu le Grand Prix à Cannes avant un Oscar dimanche. Enfin !

« Faites ce qui est juste en 2020 »

Spike Lee ne s’est pas gêné pour donner le discours de sa carrière, de sa vie, plus engagé que jamais : « Nous sommes en 2019, et cela fait tout juste 400 ans que nos ancêtres ont été dérobés à la Mère Afrique, et amenés à Jamestown, en Virginie, pour être esclaves. Nos ancêtres ont travaillé la terre de l’aube au coucher du soleil. Ma grand-mère, qui vécut jusqu’à 100 ans, fut diplômée à l’université, alors que sa mère était esclave. Ma grand-mère a économisé 50 ans de chèques de sécurité sociale pour que son premier petit-fils puisse s’inscrire à une école de cinéma. Ce soir, je salue nos ancêtres qui ont bâti ce pays, et qui ont connu le génocide de son peuple. Si nous nous connectons à nos ancêtres, nous gagnerons l’amour, la sagesse et retrouverons notre humanité. Ce sera un grand moment. L’élection présidentielle 2020 est toute proche. Mobilisons-nous ! Soyons tous du bon côté de l’Histoire, choisissons l’amour au lieu de la haine, faisons ce qui est juste ». Do the right thing !