Pourquoi le bridge est « un sport crevant »
JEU DE CARTES Il est trentenaire, parcourt le monde depuis près de dix ans pour jouer au bridge et n’est pas en surpoids… Rencontre avec Cédric Lorenzini, n°1 français, et une discipline souvent remplie de clichés
- Quelle image avez-vous du bridge ? Pas celle qu’en a le n°1 français de la discipline, Cédric Lorenzini.
- Le trentenaire vit depuis près de dix ans de ce jeu de cartes qui ressemble à la belote coinchée.
- « C’est un sport crevant. Quand les matchs sont serrés jusqu’à la dernière donne, c’est épuisant », explique-t-il avant de détailler toutes les caractéristiques du bridge.
Des retraités qui tapent le carton l’après-midi sous un arbre. Voilà à peu l’image qu’a encore le bridge, comme d’autres jeux de cartes tels que la belote ou le tarot, auprès du grand public. « Mais il y a deux bridges. Celui-là, et le nôtre », attaque Cédric Lorenzini, l’actuel n°1 français et « à peu près 30 ou 35e mondial » de la discipline.
Le sien semble très loin des clichés. Un peu comme un tennisman en quête de prize money, le natif de Mulhouse, 33 ans, parcourt le monde pour enchaîner les tournois. « Je suis parti de chez moi [à côté de Besançon] entre 150 et 200 jours par an », témoigne-t-il. La plupart du temps pour des compétitions qui durent deux semaines, comme celle qui débute ce samedi à Strasbourg.
Des journées pendant lesquelles le bridgeur peut rester « jusqu’à huit à neuf heures assis à une table ». Pas très physique cette affaire ? « C’est un sport crevant. Quand les matchs sont serrés jusqu’à la dernière donne, c’est épuisant », répond ce pratiquant de tennis, natation et course à pied avant de détailler. « Alors oui, bien sûr, on peut y arriver pas très en forme mais je suis sûr que le physique compte. »
Peut-être a-t-il sa part dans l’aspect mental du jeu, une sorte de belote coinchée bien plus compliquée. « En Chine notamment, le bridge est considéré comme un sport intellectuel noble car il fait appel à beaucoup de qualités. De la psychologie, de la mémoire, du bluff… » Afin de bien connaître son binôme, retenir les cartes du joueur qui devra poser les siennes à chaque partie, mais aussi enchérir, calculer, élaborer une stratégie. Tout un art qui s’apprend !
« Un jeu infini »
« Certains disent qu’on atteint son meilleur niveau à 40 ans, je ne sais pas. Mais ce qui est sûr, c’est que c’est un jeu infini, où on ne rencontre jamais la même situation », détaille-t-il, lui qui était tombé dedans complètement par hasard à l’âge de 7 ans. Le bridge se jouant par deux, il avait simplement accompagné son grand-père dans un club. « Il était en retraite et cherchait une activité. J’y suis allé, j’étais le seul enfant ! Ça ne m’a pas trop plu au début mais dès que les premières compétitions sont arrivées, j’ai accroché. »
D’abord des petits tournois locaux, toujours avec son grand-père, puis nationaux. Jusqu’à intégrer « des groupes de travail à la Fédération juniors, moins de 20 ans et moins de 25 ans ». C’est d’ailleurs à peu près à cet âge-là que l’Alsacien a décidé de ne se consacrer qu’à sa passion. Il avait pourtant le choix à l’issue de son doctorat en chimie des polymères. « Mais j’ai décidé de prendre une année sabbatique pour vraiment progresser au bridge. Pour ne plus arriver fatigué sur les compétitions et me focaliser dessus. »
Choix gagnant puisque le jeune diplômé s’est signalé aux Etats-Unis en remportant deux tournois parmi les plus prestigieux. Résultat, un titre de « joueur de l’année 2015 » outre-Atlantique. « J’étais le premier européen à le gagner, et le plus jeune », apprécie celui qui est ensuite devenu champion d’Europe en 2016, puis vice-champion du monde en 2017. Jamais seul, en équipe puisque sa discipline se pratique par six, avec deux paires qui jouent pour une qui se repose à chaque match.
Les meilleurs à Strasbourg
Depuis, le joueur pro enchaîne donc les déplacements, un peu partout dans le monde « mais plus trop en Chine depuis le Covid ». Avec quels moyens ? Particularité de la discipline, ce sont la plupart du temps des mécènes privés qui financent et… jouent avec les champions. « Ils peuvent être bons, ou moins, il faut s’adapter si on est avec eux », éclaire Cédric Lorenzini, sans vouloir froisser personne. Il n’y a pas intérêt, ce sont eux qui lui permettent d’en vivre. « Mais ce n’est pas un jeu d’argent avec de gros prix quand on gagne un tournoi. »
A Strasbourg à partir de ce samedi, le n°1 français rencontrera « tous les meilleurs joueurs du monde car c’est un championnat organisé par la fédération européenne mais qui accueille des gens de partout ». Il y sera engagé en équipe mixte, puis en « Open », où tous les âges et sexes peuvent se mélanger. « Toutes les meilleures équipes seront là, ce n’est vraiment pas sûr qu’on soit dans le tableau final », dit, prudent, le régional de l’étape, qui se voit encore sur le circuit. « Tant que ça me plaît, je continue. On verra si je ne suis pas lassé dans vingt ans… »
Pour l’éviter, le père de deux jeunes enfants s’octroie des pauses dans la saison, durant lesquelles il ne joue même pas en ligne. « Là, je viens d’enchaîner et on part aux Etats-Unis le 13 juillet. Il faudra que je coupe après Strasbourg. » D’où il risque de sortir « crevé ».