Pourquoi il faut des avatars en situation de handicap

Métavers Des initiatives émergent et militent pour des mondes virtuels inclusifs, permettant une juste représentation des personnes en situation de handicap

Anaïs Cherif
NFTY Collective a créé cette année une douzaine d'avatars inclusifs.
NFTY Collective a créé cette année une douzaine d'avatars inclusifs. — NFTY Collective
  • Ce mardi 15 novembre 2022 est paru le deuxième numéro de 20 Mint, notre média consacré au Web3.
  • Ce dernier a été élaboré en collaboration avec la communauté réunie sur le premier numéro.
  • Il est consacré à l’inclusion ; que ce soit des personnes en situation de handicap, des femmes, ou encore des personnes éloignées du numérique.

Si les premières briques du métavers sont posées, tout reste à construire. Alors que la création de nouveaux usages est en train de se jouer, un mouvement venu des Etats-Unis alerte contre l’invisibilisation des personnes en situation de handicap physique ou mental.

Que ce soit dans le design des univers ou des avatars, « la prise en compte des personnes avec des déficiences est encore embryonnaire dans le métavers, estime Maude Bonenfant, professeure à l’université du Québec. Elle est pourtant essentielle : sans représentation, un sentiment d’exclusion se créer chez les personnes concernées, avant même de savoir si elles pourraient profiter d’usages intéressants. » Et de poursuivre : « Cela a été le cas avec les jeux vidéo dans les années 90. Il y avait très peu de représentations pertinentes de personnages féminins. Ces dernières étaient stéréotypées ou hypersexualisées. Donc les femmes n’étaient pas attirées par les jeux vidéo car cela supposait une transgression de genre pour pouvoir accéder à cet univers. »

Mais les promesses affichées aujourd’hui par le métavers vont bien au-delà du simple univers ludique. « Si les mondes virtuels s’orientent vers une reproduction de notre quotidien – avec des interactions sociales, des achats, des activités culturelles, éducatives ou encore professionnelles – alors l’inclusion est d’autant plus primordiale », souligne la professeure.

L’avatar, une construction identitaire

Face à ce constat, des initiatives commencent à émerger. La marque de déodorant Rexona a ainsi organisé dans Decentraland en avril dernier un marathon virtuel, où l’architecture était pensée comme accessible avec des rampes pour les personnes en fauteuil roulant, par exemple. Une bibliothèque inclusive a été créée spécialement pour proposer des avatars dotés de prothèses ou de lames de course.

De son côté, Ready Player Me, studio de conception d’avatars interopérables entre les différents mondes virtuels, permet aux « développeurs qui utilisent notre plateforme d’intégrer des attributs, comme des béquilles ou des fauteuils roulants, par exemple », explique Daniel Marcinkowski, responsable marketing des contenus. Le studio veut désormais aller plus loin. Il travaille actuellement à de « nouvelles fonctionnalités pour améliorer la prise en compte de l’âge, des traits du visage, et la possibilité de modifier les formes et la taille du corps de l’avatar », poursuit-il.

D’autres projets plus pérennes se structurent, comme le NFTY Collective. « Avec plus d’un milliard de personnes handicapées dans le monde – dont souvent des handicaps qui ne sont pas visibles – il est primordial de favoriser l’inclusion, explique l’américaine Giselle Mota, qui a lancé le collectif cette année. Il a créé une douzaine d’avatars inclusifs, dans un projet baptisé « unhidden collection ». Un partenariat a été passé avec Wanderland cet été pour pouvoir les déployer. « L’objectif est de collaborer avec des fournisseurs de plateformes et de technologies pour étendre l’utilisation de ces personnages à travers des jeux, des NFT, des filtres, etc. L’idée est de permettre aux personnes en situation de handicap de choisir un avatar à leur effigie, qui reflète leur véritable identité physique si elles le souhaitent », souligne-t-elle.

Diversifier les équipes de production

Car la représentation virtuelle est toute aussi importante que le réel, estime Maude Bonenfant. De la même façon que la diversité des émojis a été plébiscitée par les internautes avec l’évolution des réseaux sociaux, celle des avatars doit être intégrée. « Bien souvent, les personnes non joueuses ne mesurent pas pleinement les expériences vécues à travers un avatar. Celui-ci est une construction identitaire, par laquelle nous pouvons vivre des expériences basées sur les mêmes dynamiques sociales que celles du monde réel : développer un sentiment d’appartenance à une communauté, obtenir une reconnaissance sociale… énumère la professeure. A cela s’ajoute des critères propres aux mondes virtuels. Par exemple, il est possible de créer de nouveaux liens sociaux sans a priori. Dans le métavers, il n’y a pas de classe sociale, de genre ou encore d’origine ethnique. Cela peut donc enrichir la vie sociale de l’individu. »

Au-delà des déclarations de bonnes intentions, comment rendre en pratique le métavers plus inclusif ? « Les espaces physiques et les technologies ont souvent tardé à prendre en compte les personnes avec des déficiences – et aujourd’hui encore, l’accessibilité reste un défi malgré la présence de normes et de lois visant à garantir le contraire, souligne Giselle Mota. Il est important que les mondes virtuels soient conçus avec et par des personnes en situation en handicaps – et pas seulement « pour eux ». Un métavers plus inclusif passera par « une diversification des équipes de production. Dès lors que des femmes, des minorités sexuelles ou des personnes avec des déficiences sont intégrées, alors leurs réalités sont naturellement prises en compte dans les projets », abonde Maude Bonenfant. ll y a du pixel sur la planche.