Frédéric Cavazza : « Le Web3 ne résoudra pas la fracture numérique »
internet Entrepreneur et observateur du monde numérique depuis vingt-cinq ans, Frédéric Cavazza s’est inquiété, dans un article de blog, de l’importance prise par la dyspraxie numérique. 20 Mint lui a posé quelques questions
- Ce mardi 15 novembre 2022 est paru le deuxième numéro de 20 Mint, notre média consacré au Web3.
- Ce dernier a été élaboré en collaboration avec la communauté réunie sur le premier numéro.
- Il est consacré à l’inclusion numérique ; que ce soit des personnes en situation de handicap, des femmes, ou encore des personnes éloignées d'Internet faute de compétences ou de moyens
Depuis la pandémie, la fracture numérique est régulièrement discutée dans l’espace public, mais internet a déjà une trentaine d’années. L’illectronisme est-il un problème si récent ?
L’éloignement du numérique d’une partie de la population existe depuis les débuts de l’industrie. Simplement, plus le numérique prend de place dans notre quotidien, plus l’illectronisme devient visible. En accélérant l’adoption d’outils comme les services de visioconférence, par exemple, le Covid a rendu plus évident la difficulté de certains, à l’école ou en entreprise, à les prendre en main.
Vous vous inquiétez aussi de ceux qui souffrent de « dyspraxie numérique »…
En France et dans le monde, il y a peut-être 5 à 10 % des gens qui sont éloignés du numérique, parce qu’ils ne veulent ou ne peuvent pas acquérir les connaissances nécessaires pour s’en servir. On en parle beaucoup, mais ce qui me semble encore plus important, c’est la part de la population - que j’estime à la moitié des internautes, au moins - qui utilise les technologies, mais ont encore des difficultés à réaliser des tâches simples, comme gérer leurs mails. Ce sont ces gens-là que je qualifie de touchés par une forme de dyspraxie ou de dyslexie numérique.
Qu’est-ce qui provoque cette dyspraxie ?
Des outils numériques se sont multipliés au travail, dans nos foyers et brusquement, un consensus est apparu sur le fait de les utiliser au quotidien. Mais personne n’a été formé, personne n’a été accompagné dans l’adoption de ces outils. Pour une entreprise, c’est comme si, parce qu’on réalise une grosse part de notre chiffre d’affaires en Chine, on demandait brusquement à tous les employés de parler chinois. Le numérique, c’est une langue, avec sa grammaire, son orthographe, sa culture. Ça s’apprend !
Dans quelle mesure le Web3 peut-il aider les personnes plus ou moins éloignées du numérique ?
J’ai beaucoup de mal à voir comment il pourrait le faire. Pour la population générale, celle qui a parfois du mal à se servir de ses mails, le concept même de base de données est abstrait. Alors lui parler de blockchain, de cryptomonnaies ou de NFT, c’est presque grotesque. Actuellement, les applications du Web3 sont réservées à un tout petit nombre de personnes, peut-être quelques centaines de milliers en France, qui ont fait l’effort de s’y pencher. Et encore, j’y inclus les détenteurs de cryptoactifs, mais rien ne dit que ceux-ci savent ce que le Web3 recouvre. Pour l’inclusion d’une plus grande diversité c’est pareil : c’est déjà très simple de lancer une association de loi 1901 pour le faire, l’apport d’une DAO (organisation autonome décentralisée) dans le projet me paraît limité.
Comment faire pour renverser la vapeur ?
Il faut faire de la pédagogie. Sur son site, le ministère des finances explique ce que sont la blockchain, les NFT, etc. Il faudrait étendre ce genre de logique, car la méconnaissance du numérique en général et du Web3 en particulier est aussi un terreau fertile pour les arnaques et les failles de sécurité. Une autre approche serait celle de l’investissement. Plutôt que de reproduire l’erreur courante consistant à ne financer que des projets portés par de jeunes hommes blancs avec des formations d’informaticiens, il faudrait s’assurer de financer des projets qui intègrent un pan explicitement dédié à l’inclusion.