« Avec la réalité virtuelle, on n’est pas devant l’écran, on est dans l’écran », assure Louis Cacciuttolo
immersion Après plusieurs collaborations remarquées avec Jean-Michel Jarre, et une levée de fonds réussie, le CEO de VRrOOm passe la vitesse supérieure
- VRrOOm a travaillé main dans la main avec l’un des pères fondateurs de la musique électronique en France, Jean-Michel Jarre, sur un concept de concert virtuel pour l’édition 2020 de la fête de la musique, juste après la fin du premier confinement.
- Ils ont remis ça le 31 décembre 2020 avec un événement monstre dans le décor virtuel de la cathédrale Notre-Dame, qui a été visionné plus de 75 millions de fois.
- VRrOOm a mené une première levée de fonds d’1,5 millions d’euros en mai 2022, et prévoit de lever encore 30 millions d’euros dans les prochains mois, pour financer le développement d’un métavers européen.
- Le marché du métavers pourrait représenter près de 700 milliards de dollars en 2030 d’après le cabinet de conseil américain Grand View Research (GVR).
En route pour le métavers et la réalité virtuelle (VR). VRrOOm et son fondateur Louis Cacciuttolo ont une idée précise d’où ils veulent nous emmener. Lancée en 2016, l’entreprise est aujourd’hui une référence de la VR et du divertissement avec effets spéciaux. Cette année, VRrOOm passe la seconde : après une levée de fonds en mai, elle a annoncé il y a peu le développement de son propre métavers, avec un premier prototype à venir sous peu. Là encore, le cap fixé par Louis Cacciuttolo est clair : devenir le Youtube du métavers.
Impossible de ne pas l’évoquer. Depuis plusieurs années vous collaborez étroitement avec Jean-Michel Jarre, l'une des légendes de la musique électronique française, pour proposer des expériences artistiques remarquées, où réalité tangible et réalité virtuelle se confondent. Comment cela a-t-il commencé ?
Tout a commencé par le Covid. Pour le spectacle vivant, le confinement a été une catastrophe : il n’y avait plus de scène, les festivals étaient arrêtés, tout était gelé. C’est ce qui m’a poussé à créer un premier festival en réalité virtuelle sociale sur la plateforme VRchat. Comme l’événement marchait bien, j’ai appelé le ministère de la Culture en leur disant : « Le covid n’est pas une fatalité pour les artistes. Regardez ce qu’on peut faire ». A force de les harceler, le 31 mai, ils m’ont appelé pour me demander ce qu’on pouvait faire en VR pour la fête de la musique 2020, étant donné qu’ils ignoraient encore comment elle aurait lieu. Je leur ai demandé deux jours de réflexion, mais en raccrochant je me demandais ce qu’on allait bien pouvoir faire et, surtout, avec qui. Il fallait un artiste fédérateur, transgénérationnel, innovant dans l’âme pour accepter de jouer le jeu de la réalité virtuelle.
Et c’est là que vous pensez, à juste titre, à Jean-Michel Jarre….
J’ai obtenu le mail de son agente. Le soir même on échangeait, le lendemain Jean-Michel donnait son accord. C’était fou. On ne se connaissait ni d’Eve ni d’Adam et on avait trois semaines pour monter un concert ensemble dans le métavers. Lui jouait depuis son studio, alors que dans la cour du Palais-Royal les invités équipés de casque pouvaient y assister en réalité virtuelle. La captation était partagée en même temps sur les réseaux sociaux. On a quand même eu ce jour-là 600.000 spectateurs et plus d’1,2 million en replay en l’espace de 24 heures. On a remis le couvert au nouvel an avec « Welcome to the Other Side». Cette fois, on a battu le record du monde du concert le plus streamé avec 75 millions de vues. Tous les éléments étaient réunis pour que ça marche. Déjà, c’était le nouvel an. Ensuite, le concert virtuel avait lieu au cœur de Notre Dame, dans une capitale sous couvre-feu. La mairie de Paris était derrière nous, le diocèse aussi. Le Vatican a même twitté…
Le virtuel est particulièrement pertinent dans ce genre de situation, il permet de se soustraire aux contraintes du monde réel…
C’est exactement ce qui me fascine dans la VR. J’ai créé puis dirigé pendant 20 ans le théâtre du Minotaure, à Béziers. Il avait une jauge de 200 places. J’ai immédiatement vu dans la réalité virtuelle l’opportunité de briser les contraintes qui m’empêchaient d’accéder au public et de rentabiliser les productions. Pour un petit établissement, c’est particulièrement compliqué. La réalité virtuelle sociale fait sauter tout ça, tout en y ajoutant autre chose. Avant, je ne voyais pas un média capable de retranscrire l’émotion qu’on peut ressentir dans un lieu physique, quand on est épaule contre épaule avec le reste de la salle, face à l’artiste. On n’est pas devant un écran, on est dans l’écran. C’est quelque chose que seule la réalité virtuelle ou le Web3 peuvent procurer aujourd’hui.
Vous travaillez justement sur votre propre métavers. En quoi va-t-il consister ?
L’idée, c’est de créer un peu une sorte de YouTube du métavers. Pour l’instant, la plupart des plateformes qui existent ne sont pas faites pour le spectacle vivant. Chaque fois on est obligé de hacker le système pour parvenir à quelque chose. Et le résultat est toujours un peu bancal. C’est pourquoi on crée notre propre plateforme afin d’y intégrer des outils adaptés aux artistes. Les artistes pourront en quelques clics y créer leur univers, et avoir à leur disposition tous les jeux d’effets scéniques, les effets de lumière et sonores, pour réaliser le spectacle dont il ont envie, qu’ils soient professionnels ou indépendants, novices ou confirmés. La priorité est donnée à l’accessibilité. L’important c’est de démocratiser ces outils, pour créer mais aussi pour monétiser, via de la billetterie, du merchandising, ou des NFT.
Emmanuel Macron met un point d’honneur à ce que l’Europe se dote de son propre métavers. Vous vous inscrivez dans cette démarche. Pourquoi est-ce si important ?
Il y a clairement des enjeux de souveraineté. On a vu ce que ça donnait avec Internet. On est ultra-dépendants de très grosses plateformes étrangères et il ne faut pas que ça se reproduise avec le métavers. Les enjeux, financiers bien sûr, mais aussi de liberté d’expression, sont énormes. Le problème, c’est que pour construire un métavers européen souverain, VRrOOm ne suffira pas. Il faudra que les plateformes fonctionnent en interopérabilité, qu’elles soient puissantes et, avant tout, adaptées aux besoins des artistes. Pour l’instant, ce n’est le cas nulle part.
Vous vous êtes illustrés avec des concerts, mais quelles autres formes d’art pourraient tirer parti de la réalité virtuelle ?
Lors du festival NewImages, en 2020, on a proposé un spectacle de flamenco contemporain complément hybride. Sur scène, une danseuse portait un casque Quest et deux manettes. Derrière elle, un écran affichait une mise en scène qui évoluait avec la musique. Pour ceux qui y assistaient en réalité virtuelle, la danseuse était représentée par des particules en mouvement. Le dispositif était à la fois très simple, parce que limité techniquement, et très beau. On a aussi travaillé sur un stand-up, avec une comédienne qui donnait un spectacle dans VRChat. Elle s’est vraiment saisie de la situation, du manque d’expression des avatars, pour faire quelque chose drôle. Comme la compagnie de danse, elle s’est appuyée sur les contraintes qui pèsent actuellement sur la réalité virtuelle, pour en tirer un show pertinent. Bien sûr, les expressions faciales, les mouvements vont progressivement gagner en fidélité et en réalisme, tout en étant plus légers à produire. Ces progrès, couplés à l’adoption de la technologie par le public, vont dans le bon sens.
Justement, qu’est-ce qui manque aujourd’hui pour que les casques de réalité virtuelle pénètrent davantage les ménages français ?
La technologie elle-même. Porter un casque de réalité virtuelle reste une tannée, même pour moi qui adore ça. Au bout de deux ou trois heures, on n’en peut plus. On attend tous des lunettes de réalité augmentée ou virtuelle, bref un équipement plus léger. La question du prix se pose aussi. Pour ce qui est des contenus, le fait de diffuser des spectacles hybrides, qui peuvent être distribués sur différentes plateformes en même temps, est un outil d’évangélisation très puissant. Sur le facebook live de « Welcome to the otherside », on pouvait lire énormément de commentaires d’internautes intrigués et désireux de tester une expérience plus immersive.
En parlant de ça, Jean-Michel Jarre accompagnera la sortie de son prochain album « Oxymore », le 21 octobre, d’une expérience en réalité virtuelle, OXYVILLE. VRrOOm est encore une fois à la réalisation. A quoi peut-on s’attendre ?
L’expérience dure quarante-cinq minutes, comme l’album. Chaque morceau correspond à un quartier de la ville où l’on déambule librement. Jean-Michel Jarre apparaît, lui, sur des écrans géants. Tout est en noir et blanc, dans un mélange graphique entre SinCity et Métropolis. On a voulu que l’expérience soit très légère et très fluide pour n’importe qui, et qu’elle soit jouable sur les casques Quest. Au final, cette ville, où il y a un tas de trucs à faire, à explorer, des surprises mais aussi des clins d’œil pour les fans, ne pèse que 30Mo. Aussi bien techniquement que créativement, on a poussé les choses assez loin.